Wolfgang Schäuble : « L’Afrique doit être un espace de coopération et non de compétition »
Wolfgang Schäuble : « L’Afrique doit être un espace de coopération et non de compétition »
LE MONDE ECONOMIE
Le ministre allemand des finances explique pourquoi Berlin a souhaité mettre le continent noir à l’agenda du G20.
Le minsitre allemand des finances Wolfgang Schäuble en 2015. | EMMANUEL DUNAND / AFP
L’Allemagne, qui occupe cette année la présidence du G20, a fixé comme priorité de stimuler l’investissement privé en Afrique. Une grande conférence a lieu à Berlin, lundi 12 et mardi 13 juin, pour faire avancer les travaux de cette initiative baptisée « Compact with Africa ». Le grand argentier allemand, Wolfgang Schäuble, détaille au Monde le sens de cette stratégie qui ne prévoit pas d’aide financière mais vise à attirer les investisseurs en encourageant les pays partenaires à améliorer leur cadre réglementaire et juridique.
Pourquoi avoir fait du partenariat avec l’Afrique une priorité du G20 ?
Ces dernières années, nous avons senti combien les risques géopolitiques liés au développement économique étaient d’une importance capitale. C’est particulièrement vrai concernant l’Afrique. Ce continent joue un rôle crucial pour l’économie mondiale, tant par son potentiel que pour les risques qu’il représente. Cette initiative rencontre un écho très positif parmi les pays africains. Elle est de long terme et restera à l’agenda du G20 car l’Argentine, qui en aura la présidence après nous, s’est engagée à la poursuivre.
De quoi s’agit-il exactement ?
Le sens de ce projet n’est pas d’adopter un nouvel instrument financier pour l’Afrique. Son objectif est d’encourager les investissements privés sur le continent. Il s’agit, d’un côté, de lister les besoins de développement et d’aider à identifier les projets utiles. De l’autre, il faut créer les conditions d’un cadre réglementaire et juridique propice aux affaires. C’est le préalable à tout investissement privé et il revient aux Etats africains, eux-mêmes, de mettre de l’ordre dans leurs appareils d’Etat. L’ensemble est élaboré en coopération étroite avec les pays africains mais aussi les institutions multilatérales comme la Banque mondiale, la Banque africaine de développement ou le Fonds monétaire international. Tout est sur la base du volontariat, nous n’imposons rien. C’est important car l’époque coloniale n’est pas si éloignée dans les esprits.
Certaines ONG critiquent une initiative trop abstraite et qui, justement, ne prévoit de mettre aucun argent sur la table…
Le G20 n’est pas une enceinte pour mettre en place des aides financières. Il existe pour celles-ci d’autres canaux, comme la coopération ou l’aide publique au développement. Cette stratégie du G20 vise, je l’ai dit, l’investissement privé. Bien sûr, l’Afrique a besoin d’argent public, pour développer notamment ses infrastructures. Mais on peut aussi changer beaucoup de choses avec les investissements privés.
La France joue-t-elle dans cette initiative un rôle important ?
Oui elle est très active. D’ailleurs, tous nos partenaires européens soutiennent beaucoup ce projet. Nous coopérons aussi avec la Chine, l’Inde, l’Indonésie, ou l’Afrique du sud qui joue un rôle de médiateur. Pour le reste du monde, l’Afrique doit être un espace de coopération, non de compétition.
Comment les pays sont-ils sélectionnés ?
Ils postulent eux-mêmes. C’est ouvert à tout le monde et personne n’est contraint. Nous avons déjà sept pays qui y participent : le Maroc, la Tunisie, le Rwanda, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Ghana et l’Éthiopie. Et trois autres réfléchissent à se porter candidats.
N’est-il pas regrettable que les premiers pays participants - dont certains disent avoir été directement contactés par Berlin - soient parmi les plus riches en Afrique et relativement bien lotis en termes d’investissement privé ?
L’action des premiers pays africains impliqués doit être un succès. S’ils réussissent à obtenir des résultats concrets favorables à leur développement, ils serviront d’exemple et donneront à d’autres l’envie d’emprunter la même voie. On a donc réfléchi à quelle pourrait-être la première vague de pays la plus à même de s’engager avec succès dans cette initiative. Mais tous sont invités et nous notons un intérêt grandissant en Afrique pour ces partenariats d’investissement. L’Afrique n’y est pas passive, elle y joue un rôle actif.
L’Allemagne a aussi annoncé un Plan Marshall pour l’Afrique et la chancelière Angela Merkel s’y rend plus souvent. Pourquoi cet intérêt grandissant à l’égard d’un continent avec lequel votre pays n’a pas une longue tradition ?
L’Afrique est le continent voisin de l’Europe. Les défis qu’elle pose, sont donc européens, pas seulement allemands. Si nous ne parvenons pas à créer les conditions pour stabiliser l’Afrique, les problèmes se multiplieront. Le reste du monde devra en assumer les répercussions, notamment l’Europe. En Allemagne, la crise migratoire nous a ouvert les yeux. Il faut refuser l’inertie et prendre notre part de responsabilité dans un monde de plus en plus intégré. Nous qui sommes aujourd’hui plus forts, politiquement et économiquement, que d’autres parties du monde, nous devons proposer notre aide.
S’agit-il aussi d’ouvrir de nouveaux marchés pour les entreprises allemandes ?
Le développement sur ce continent peut aussi leur profiter dès lors qu’il est gage de stabilité. C’est un aspect de la mondialisation : ce n’est pas un jeu à somme nulle mais peut bénéficier à tous et cela vaut aussi en Afrique. Et d’ailleurs nous, Européens, nous devons être prêts à ouvrir davantage nos marchés aux produits africains.