A Berlin, des murs pour promouvoir la culture rom
A Berlin, des murs pour promouvoir la culture rom
M le magazine du Monde
L’Institut européen des arts et de la culture roms a été inauguré le 8 juin dans la capitale allemande. Une façon de sortir des préjugés pour cette communauté souvent méprisée.
Après des siècles d’errance, l’art rom a enfin une adresse. Inauguré ce 8 juin, à Berlin, l’Institut européen des arts et de la culture roms (ERIAC) sera un lieu de refuge pour la culture rom. Fruit d’une longue saga, ce lieu ambitionne de mettre un terme à la clandestinité artistique de tout un peuple. En dépit de ses 12 millions d’âmes, la plus grosse minorité d’Europe n’avait pas à ce jour droit de cité dans les musées nationaux. Quelque 10 000 œuvres y étaient bien inscrites dans des catalogues prestigieux mais, hormis une d’entre elles – signée du peintre rom hongrois István Szentandrássy, exposée au Musée national hongrois de Budapest –, toutes dormaient dans les réserves.
Une assignation à l’invisibilité
Si l’on estime avec l’historien Nicos Hadjinicolaou qu’une œuvre d’art n’existe en tant que telle qu’à partir du moment où elle est regardée, alors l’art rom était bel et bien condamné à la virtualité. Excepté quelques expositions rares et éphémères, ou une présence à la Biennale de Venise depuis l’ouverture du premier pavillon d’art rom à la 52e Biennale le 7 juin 2007, il y a dix ans, les productions de ce peuple ont toujours été tenues loin de l’œil du spectateur. De cette assignation générale à l’invisibilité, seuls quelques noms sont parvenus à émerger, comme celui de Ceija Stojka, l’artiste qui a notamment peint les camps de concentration où tant de Tziganes furent exterminés. Mais en général, lorsque point la première once de notoriété, l’origine ethnique de l’artiste passe au second plan. Or quelques-unes des grandes voix qui se battent justement pour redorer le blason de cette communauté pressentent depuis des années que l’art rom est un des leviers qui peut permettre de rehausser l’image de ce groupe éternellement pourchassé en Europe de l’Est comme de l’Ouest.
Il aura fallu le combat personnel du milliardaire américain George Soros pour que l’Institut – qui ne sera pas un musée mais un espace de promotion de cette culture – voie le jour, sur le modèle de l’Alliance française ou du British Council. L’Open Society Foundations, qu’il a créée et dirige, milite en effet depuis 1979 pour redonner au peuple rom sa dignité. Depuis plusieurs années, la première fondation privée au monde a concentré ses efforts pour que cette poésie subversive, où les explosions de couleurs signent une révolte si longtemps contenue, dispose d’un lieu qui la promeuve en permanence. « L’Institut rom européen pour les arts et la culture est une réalisation importante, car il offrira aux artistes roms, aux chercheurs, aux militants et aux journalistes roms un espace pour qu’ils se montrent et puissent se raconter tels qu’ils sont vraiment. Cela assoira la place des Roms dans le mouvement culturel et donnera aux non-Roms un nouveau regard sur la plus grande minorité ethnique d’Europe », explique George Soros.
L’Alliance pour l’institut rom européen pour les arts et la culture, qui regroupe intellectuels, écrivains et journalistes – d’Ethel Brooks, professeure de sociologie à l’Université Rutgers (États-Unis) et nommée par Barack Obama à l’US Holocaust Memorial Council, à la linguiste Mihaela Zatreanu – partage aussi cette idée qu’il faut d’abord valoriser l’identité rom pour que la communauté gagne en estime de soi et que le regard de la société change sur elle. Ce groupe a donc pris son bâton de pèlerin il y a quatre ans et assuré un important travail de lobbying partout en Europe pour sensibiliser les décideurs à la pertinence du projet. Pour obtenir l’adhésion du Conseil de l’Europe, il a fallu convaincre un à un les 47 membres de la nécessité de participer à l’ouverture de ce lieu. Le combat a été long, mais il a en définitive permis l’alliance des deux puissances complémentaires que sont cette prestigieuse instance intergouvernementale et le plus grand fonds mondial privé.
Des artistes contemporains issus de huits pays
Après que le Conseil de l’Europe eut donné son aval, fin 2015, il ne restait qu’à choisir le lieu et le directeur de cette institution pensée par les Roms, pour les Roms. Berlin a été retenue pour son statut de grande métropole européenne à cheval entre l’Est et l’Ouest. Et le nom de Timea Junghaus, historienne de l’art, grande préservatrice des œuvres roms en Hongrie, son pays, s’est vite imposé. C’est elle qui prendra les commandes de ce lieu appelé à grandir au cœur de la capitale allemande.
Lancée ce 8 juin en présence du secrétaire général du Conseil de l’Europe Thorbjorn Jagland, de George Soros et d’un ensemble d’artistes et d’intellectuels, l’exposition inaugurale « Transcending the Past, Shaping the Future », installée au sein de l’espace Lichthof, au ministère des affaires étrangères, proposera des œuvres d’artistes contemporains roms issus de huit pays différents. Le Britannique Daniel Baker, l’Albanais Sead Kazanxhiu ou la Française Gaby Gimenez en seront. L’Institut recevra ensuite des donations émanant de particuliers et de différentes organisations membres de l’Institut, comme la European Roma Cultural Foundation (Budapest) ou le Dokumentations und Kulturzentrum Deutscher Sinti und Roma (Heidelberg).
Une opération de crowdfunding sera aussi ouverte, le 8 juin : elle viendra appuyer les 600 000 euros annuels que les trois fondateurs (l’Alliance, l’Open Society Foundations et le Conseil de l’Europe) vont investir cinq années durant pour lancer cet Institut où les Roms pourront construire le récit de leur histoire avec leur propre discours.