Nîmes s’anime avec This is Not a Love Song
Nîmes s’anime avec This is Not a Love Song
Par Franck Colombani (Nîmes, envoyé spécial)
Le festival revendique sa culture « indie rock » avec des têtes d’affiche comme Thee Oh Sees et Echo and the Bunnymen.
« Rock indépendant » : le terme aujourd’hui peut paraître vague, tant certains groupes emblématiques du genre divisent les spécialistes, comme Radiohead, qui fut signé dès ses débuts par la major EMI. Mais il existe incontestablement une culture rock indépendante, avec ses formations phares (The Smiths, Joy Division, Pixies…) et ses labels historiques (4AD, Factory, Creation Records…). Tous sont animés par un état d’esprit « Do It Yourself », qui continue de s’adapter aux bouleversements économiques du marché de la musique.
Au-delà des chapelles musicales, c’est cette volonté d’indépendance que revendique le festival This Is Not a Love Song, organisé par la salle de spectacle Paloma et l’association Come On People, depuis sa première édition en 2013. Installé à Nîmes, le « Tinals » s’est imposé comme un rendez-vous rock incontournable du paysage hexagonal. Grâce à une programmation exigeante, échelonnée sur un week-end de trois jours – du 8 au 10 juin cette année –, qui n’a rien à envier à d’autres manifestations du début de la saison estivale (We Love Green, Villette Sonique). Des pointures internationales, comme Foals, Cat Power, The Divine Comedy ou Swans, figuraient à l’affiche des éditions précédentes. Cette année, le Tinals a de nouveau battu son record d’affluence avec 16 000 spectateurs, contre 15 000 en 2016 et 4000 lors de sa première édition.
Festival This is Not a Love Song, samedi 10 juin. | DR
Un pari risqué au départ
Il n’allait pourtant pas de soi que la cité antique gardoise devienne une étape privilégiée pour les groupes internationaux en tournée à travers l’Europe, début juin. Les programmateurs Fred Jumel et Christian Allex ont eu l’idée de profiter de la proximité géographique avec Barcelone et surtout du poids lourd des festivals ibériques, Primavera, en s’y greffant le même week-end, de manière à piocher dans une riche programmation et d’avoir la primeur de certains artistes étrangers en France. Cette stratégie permet au Tinals de récupérer entre 15 et 20 noms sur la cinquantaine que compte son affiche. Depuis, d’autres festivals s’en sont inspirés, tels We Love Green à Paris et Yeah ! à Lourmarin. L’édition 2017 du Tinals est toutefois différente : « La feria de Nîmes tombait le même week-end que Primavera, nous avons été contraints de décaler le festival », relativise Fred Jumel, directeur de la Paloma et co-programmateur du festival, désormais suffisamment réputé pour réussir à faire venir d’autres artistes de premier plan, tels que les anglais Primal Scream et Echo & The Bunnymen.
Le site, à la scénographie soignée et à la thématique fleurie, est concentré autour de la Paloma. La salle de concert ultramoderne ouverte en 2012, possède des studios de répétitions et d’enregistrements dernier cri, qui permettent parallèlement d’accueillir au cours de l’année des artistes en résidence – récemment le chanteur Christophe. Outre la grande salle qui peut accueillir 1350 personnes, et une autre plus petite installée dan le patio, trois autres scènes (Flamingo, Bamboo et la petite dernière Mosquito) accueillent le public à l’extérieur.
Cours de chanson d’amour
Loin des grands festivals parfois étouffants, le Tinals offre une alternative à taille humaine. Dans l’après-midi, des concerts gratuits sont organisés, mettant en valeur des jeunes talents du cru (mention spéciale samedi aux fougueux garage rockers Johnny Mafia, originaires de l’Yonne) ainsi que des ateliers et animations qui peuvent aller de la confection de couronnes de fleurs, en passant par un cours d’écriture de chanson d’amour dispensé par le rocker Didier Wampas… Ce samedi après-midi, dans la mini-scène Patio, le Japonais Shugo Tokumaru donne un concert spécial pour les enfants, après s’être produit la veille à la scène Mosquito. Face à une audience familiale branchée, les enfants se trémoussant en rythme, casques auditifs vissés sur la tête, le musicien nippon et son enjoué quintette s’amuse à reprendre avec des jouets instruments le thème du film Retour vers le Futur, ou encore le tube new wave Video Killed The Radio Star des Buggles. « J’avais déjà composé des musiques pour des programmes télévisés pour enfants, mais c’était la première fois que je jouais devant un public aussi jeune », glisse le musicien, séduit par cette expérience.
Institution vivante du rock indépendant, figure du rock britannique des années 1980 et 1990, Echo & The Bunnymen est une des têtes d’affiche du samedi, au même titre que Primal Scream qui se produira un peu plus tard dans la soirée. La pop new wave aux accents baroques du groupe de Liverpool perd toutefois un peu de sa magie en plein jour et aurait mérité d’être déplacée dans la grande salle de la Paloma. Ce qui ne gâche toutefois pas le plaisir de réentendre l’indémodable The Killing Moon, « la plus belle chanson jamais écrite », traditionnellement introduit par son propre et peu modeste auteur, le chanteur Ian McCulloch. Au même moment, à la Paloma, l’animation est assurée par Archie & The Bunkers, très précoce duo orgue/batterie tendance garage punk, qui remporte la partie par sa fougue juvénile, en dépit de sa formule binaire.
Guitares surf et requins gonflables
Des requins gonflables prennent un bain de foule devant la petite scène Mosquito : Requin Chagrin, quatuor parisien emmené par la chanteuse et guitariste Marion Brunetto, est un de nos coups de cœur du festival. On mord à l’hameçon de cette pop nostalgique des années 1980, mâtinée de guitare surf (une douze-cordes électrique) et chantée en français. Certains spectateurs des premiers rangs s’essaient à un pogo, un peu hors contexte musical. A rebours de son image branchée véhiculée peut-être un peu trop vite par la presse, le quatuor évite sur scène les pauses-clichés et privilégie la décontraction. « J’ai acheté ce tee-shirt tâché psychédélique au stand de fripes américain juste à côté, je trouvais que c’était typiquement dans l’esprit du festival » confie, amusée, Marion Brunetto. Parmi les nombreux hymnes tirés de son premier mini-album (un long format est en cours d’écriture), une splendide reprise d’un morceau obscur d’Indochine, Les plus mauvaises nuits, qui surpasse sans peine l’original.
Marion Brunetto sur la scène Mosquito du Tinals, samedi 10 juin 2017. | STÉPHANE RIP
Après la brit pop classique mais bien troussée de Jake Bugg, le show très professionnel de Primal Scream et son leader Bobbie Gillepsie en costume rouge disco, la présence finale de Thee Oh Sees, programmé à une heure du matin, était attendue comme le clou de la soirée. Deux ans après son passage mémorable au Tinals, la formation tenue par son leader John Dwyer, parrain de la nouvelle scène garage psychédélique californienne, s’est fait connaître par ses performances déjantées. Sujet à d’incessants changements, la formation se présente actuellement en quatuor autour d’une configuration à deux batteries. En termes d’intensité rock, Thee Oh Sees (qui se fait désormais appeler Oh Sees), est actuellement difficilement égalable.
Un dimanche au soleil
Le lendemain, sur la scène Mosquito qui porte bien son nom (pour les piqûres infligées au public par les moustiques), le groupe américain Whitney fait l’effet d’une brise légère pour ouvrir cette troisième et dernière journée caniculaire. Auteur d’un premier album en 2016 paru sur le label indépendant américain Secretly canadian, ce sextette, 25 ans de moyenne d’âge, se distingue avec son batteur/chanteur officiant derrière les fûts. Sa voix sensuelle se fond subtilement aux refrains country pop mâtinés de soul « old school ».
Retour à la scène extérieure Flamingo, les Londoniens Frank Carter & the Rattlesnakes ont de l’énergie à revendre avec leur puissant punk hardcore. Frank Carter, chanteur tatoué jusqu’au cou, se présente sur scène en costard rayé, si bien qu’on le croirait tout droit sorti du film Bronson sur l’ennemi public anglais numéro 1. Lorsqu’il n’est pas occupé à slamer dans la foule ou à critiquer Donald Trump en visite dans son pays, il invite le public a former un vertigineux « circle pit » autour de la tour de l’ingénieur du son, en face de la scène. Une heure plus tard au même endroit, ses compatriotes du groupe Slaves concentreront autant de sauvagerie autour du binôme batterie/guitare.
Les Londoniens Frank Carter & the Rattlesnakes, dimanche 11 juin, sur la scène Flamingo du festival This is Not a Love Song. | YOANN GIALOTTO
Non loin des décibels de la scène Flamingo, l’OVNI du festival s’est posé sur la scène Bambou : Kokoko !, pétillante formation congolaise originaire de Kinshasa. En combinaison jaune façon Devo, ces drôles de laborantins bricolent une pop afro dansante irrésistible avec des instruments fabriqués à partir d’objets de récupération (bouteilles, tubes en plastique, boîtes de conserve…). Une première ouverture aux musiques du monde réussie pour l’équipe du Tinals.
Pyramide psychédélique
Un peu avant 21 heures, il est temps de retrouver les Australiens de Pond font qui se produisent à la Paloma. Ce quintette regroupant d’anciens membres de Tame Impala poursuit une carrière dans une veine psychédélique sophistiquée, entre les Flaming Lips et David Bowie période Low. Leur arsenal sonore impressionne, mais il manque malgré tout un ciment mélodique pour convaincre.
23 heures. Les festivaliers quittent progressivement le site. Dans la Paloma, les vétérans de cette dernière journée, Teenage Fanclub, jouent devant un public parsemé. Le répertoire de ces orfèvres de la mélodie délicate, ciselée sur des arpèges façon Byrds, traverse trois décennies. Les éternels complices Norman Blake et Gerard Love n’ont pas volé leur titre de tête d’affiche de ce dimanche.
Les derniers festivaliers convergent vers la Paloma où la troupe cosmique King Gizzard and the Lizzard Wizard doit clore cette édition. Dernière sensation du rock psychédélique en provenance du pays d’Oz, la troupe du roi Gizzard, Stu Mackenzie, en impose : trois guitaristes, deux batteurs, un bassiste et un claviériste s’activent pour édifier leur pyramide psychédélique. Les guitares fuzz s’étirent dans un flux tendu, à la limite de la transe, jouant habilement avec les nerfs dans une sorte de boucle où certains thèmes mélodiques vont et viennent. La cérémonie se termine sur une ballade pop aux relents jazzy. Le public d’après-minuit est récompensé de son attente.
A voir et revoir sur le site Culturebox, les concerts en streamingde Jake Bugg, The Growlers, Johnny Mafia, Thee Oh Sees, Slaves, Yassasin, Frank Carter & The Rattlesnakes et The Black Angels.