Au festival des Cultures du monde, les Soudan Célestins Music soufflent leur première bougie
Au festival des Cultures du monde, les Soudan Célestins Music soufflent leur première bougie
Par Maryline Baumard (envoyée spéciale à Gannat)
Il y a un an, le groupe de réfugiés se produisait pour la première fois en public à Gannat, dans l’Allier. Cet été, ils étaient de nouveau au rendez-vous.
Longue jupe blanche brodée, chemisier noir et chignon serré, une jeune femme s’avance pour embarquer Abdo Rsol dans une danse venue de Galice. Élégant dans son costume bleu ajusté, le réfugié soudanais se cale instantanément sur le rythme du groupe Xacarandaina, originaire de La Corogne. À cet instant, c’est un peu comme si le tourbillon de la danse effaçait les douleurs de l’exil.
Ce samedi 29 juillet, Gannat n’était plus seulement la petite ville de l’Allier, à 20 km de Vichy. Elle était en même temps dans le nord-ouest de l’Espagne, avec les Xacarandaina ; en Colombie, puisque ce pays était à l’honneur du 44e festival des Cultures du monde, du 21 au 30 juillet ; et au Soudan, puisque les Soudan Célestins Music fêtaient là l’an 1 de leur formation.
Douleur de l’exil et joie d’être là
« C’est là que nous avons chanté pour la première fois devant un public », se souvient Ahmed, le chanteur principal du groupe de réfugiés. C’est aussi grâce à l’association qui porte ce festival qu’ils ont pu s’offrir leur premier synthétiseur. Samedi, donc, les Soudan Célestins Music se devaient de donner à voir et à entendre le chemin qu’ils ont parcouru en un an. « Nous sommes des amateurs qui avons envie de nous faire plaisir », dit Boklyn, un Érythréen, second chanteur.
« Les faire venir et revenir était une évidence pour nous. La culture de l’accueil et du partage est dans l’ADN de l’association », tient à rappeler Emmanuel Flosse, directeur de l’association. Comme les Soudan Célestins Music aiment danser et faire danser, c’est la « Guinguette » qui leur a été réservée cette année pour leur prestation. Un lieu où l’estrade est étroite, certes, mais la scène suffisante pour que le public prenne part à la représentation et devienne lui aussi acteur du moment.
Avant, il a fallu tout organiser. La veille, le groupe s’est réuni pour savoir qui viendrait chanter et danser. Si les Soudan Célestins Music comptent quelques incontournables comme Hassan, le musicien érythréen, Ahmed, le premier chanteur, Boklyn, le second chanteur et chauffeur de salle patenté, ou Alfawi, le « sage » du groupe, certains peuvent parfois privilégier d’autres activités, n’avoir pas le temps ou simplement pas envie de venir faire les chœurs.
« Les nouveaux arrivants » : les Soudan Célestins Music, des réfugiés chanteurs à Vichy
À 13 heures, samedi, soit à une heure du départ, les 9 m2 de la petite chambre d’Ahmed, au foyer Adoma où il réside encore, bruissent de l’excitation du départ autour d’un fattah adis, un plat soudanais préparé par Ahmed. Les morceaux de pain s’enrobent doucement de cette pâte faite de pois chiches, de lentilles corail et de tomate liés par des œufs relevés d’ail et d’oignons. Un délice qui prend toute sa saveur rehaussée de petits piments, pour mieux rappeler la douce morsure du soleil du Soudan.
Une fois ce déjeuner de fête partagé, le fer à repasser glisse sur les chemises blanches ou bleu pâle, les jeans les moins délavés, pour être à la hauteur de l’événement. Alfawi, lui, opte comme à chaque concert pour son costume clair et sa cravate assortie sur chemise foncée. Étant le plus âgé du groupe, c’est lui qui introduit chaque chanson. Un titre et quelques mots suffisent à chaque fois pour présenter ces chants qui racontent à la fois la douleur de l’exil mais aussi leur joie d’être là, en vie, ensemble, et l’envie de partager avec le public français les cultures méconnues du Soudan et de l’Erythrée.
« Je ne connaissais aucun réfugié »
Comme le rappelle Hassan – qui se présente comme « un jardinier qui fait de la musique » –, les Soudan Célestins Music ne sont pas des professionnels, mais des réfugiés pour qui la musique est un pont entre les mondes, un moyen de se reconstruire dans la France de 2017.
D’ailleurs, Gannat est un festival ouvert aux seuls amateurs, ces gardiens anonymes du patrimoine immatériel de l’humanité. Il est né en 1974 à l’initiative du groupe local de bourrée gannatoise, qui invitait régulièrement des formations amies du monde entier, puis, sous l’impulsion de son fondateur, Jean Roche, a décidé de les recevoir toutes au même moment, en juillet. Depuis, le festival des Cultures du monde est devenu une institution qui a accueilli entre 40 000 et 45 000 personnes cette année, selon Emmanuel Fosse. Jean Roche, lui, est décédé dans la nuit du 29 au 30 juillet. L’après-midi, à l’heure où les Soudan Célestins Music se produisaient sur scène, il était simplement parti, fatigué, pour se reposer.
Pour le public du lieu, à 80 % auvergnat, les chants soudanais et érythréens sont une véritable découverte et beaucoup restent interdits lorsqu’ils apprennent qu’Ahmed et les autres sont des réfugiés. « Personnellement, je ne connaissais aucun réfugié et je ne les imaginais pas comme ça », observe Nadine, une habitante d’un village voisin. Michèle, qui habite à Gannat, s’avoue ravie que ses petites-filles aillent danser sur la scène. « Ce sont des airs qui donnent envie de bouger, mais je pense que si on comprenait les paroles, on verrait aussi ce que ces gens ont traversé, comment il est difficile d’être loin de chez soi, séparés des siens », ajoute la sexagénaire.
En disant cela, Michèle met le doigt sur la double fonction de la musique pour le groupe. « Quand j’étais au Soudan, j’écoutais de la musique occidentale. Depuis que je suis ici, j’écoute de la musique soudanaise », constate Alsadig, un des choristes de la formation, qui jouait de la guitare dans sa vie d’avant, interprétant du Souchon et du Goldman. Faire plaisir au public, se faire plaisir et avancer par ce biais sur le long chemin de l’intégration qui passe nécessairement par le repositionnement de sa culture d’avant… Savante alchimie que la clé de sol aide à déverrouiller.