Coupe du monde féminine de rugby : un XV et des clubs de toute la France
Coupe du monde féminine de rugby : un XV et des clubs de toute la France
Par Adrien Pécout
La saison passée, le championnat de France féminin comptait autant d’équipes dans le nord que dans le sud du pays. A l’inverse des clubs masculins, concentrés au sud de la Loire.
La joie des Françaises après un essai marqué face à l’Australie le 13 août. / PAUL FAITH / AFP
Ces joueuses de rugby réinventent la géographie. Pour cette Coupe du monde 2017, l’équipe de France féminine a fait appel à des joueuses évoluant sur tout le territoire. Là où les clubs du championnat de France masculin se concentrent toujours au sud de la Loire, ceux de l’élite féminine donnent à voir une autre cartographie : celle d’un championnat mieux réparti, y compris dans les zones septentrionales du pays, terres où les garçons tentent aujourd’hui encore de s’établir.
Jeudi 17 août, à Dublin, cette équipe de toute la France affrontera les Irlandaises devant leur public pour un troisième et dernier match de poule (à partir de 20 h 45, sur France 2 et Eurosport 2). En jeu : une qualification pour les demi-finales qui récompenserait le parcours de ces joueuses tous azimuts après leurs larges victoires sur le Japon et l’Australie.
Sur les 28 joueuses françaises retenues pour la compétition, quatre d’entre elles représentent le club de Lille, trois autres viennent du Stade rennais, puis Bobigny et Caen ont chacun deux joueuses sélectionnées. Le Sud est toutefois également bien représenté, avec les deux clubs qui ont fourni le plus gros contingent à la sélection : Montpellier (5 joueuses), le champion de France en titre, mais surtout Blagnac-Saint-Orrens.
« Le rugby n’est pas connoté »
Le constat va au-delà des joueuses de l’équipe de France : la saison passée, le top 8 comptait quatre équipes dans la partie nord (Caen, Rennes, Bobigny, Lille), quatre autres dans la partie sud (Montpellier, Blagnac-Saint-Orrens, Romagnat, Toulouse). Symétrie aujourd’hui impensable pour les clubs masculins du Top 14 où le Stade français et le Racing, en Ile-de-France, font figure d’exception.
Francis Costa, conseiller technique national à la Fédération française de rugby (FFR), voit notamment dans cet ancrage « des raisons historiques et purement culturelles ». En clair, là où le rugby masculin de haut niveau a du mal à s’implanter, les clubs féminins auraient plus de facilités, selon celui qui est aussi le sélectionneur de l’équipe de France féminine des moins de 20 ans.
M. Costa compare les comités du nord de la France aux pays émergents du rugby, des terres propices au développement de la pratique féminine :
« Il en va au niveau international comme au niveau français. On s’est aperçu que dans les pays émergents du rugby, dans les nations qui découvrent l’activité, il n’y a pas de freins “sexistes”, les filles jouent au rugby. Le rugby n’est pas connoté, alors que dans nos pays il est connoté “garçons”. »
En revanche, estime-t-il, « dans le sud de la France, la prégnance du rugby des garçons a pesé » sur le développement du rugby féminin.
« Le vivier » de l’université
Une autre explication renvoie aux origines de ce sport. Alors que la professionnalisation du rugby masculin détourne les joueurs des facultés, les clubs féminins s’appuient encore sur des joueuses au statut amateur, et pour nombre d’entre elles encore étudiantes. « Au rugby féminin on retrouve les plus grosses équipes à proximité des universités », constate Céline Bourillot, vice-président de la FFR chargé du rugby féminin depuis cette année. « Les filles ont conscience que le rugby, c’est bien, mais qu’il faut quand même assurer son avenir, assurer les études. »
Hélène Ezanno le sait bien. L’ancienne joueuse internationale, qui a participé au Mondial 2014 à domicile avec la France, avait découvert le rugby en école d’ingénieur. Puis elle l’a poursuivie à la faculté de Rennes, avant de rejoindre le club du Stade rennais. « L’entraîneur de mon équipe universitaire était l’un des entraîneurs et dirigeants du club », rappelle-t-elle.
Aujourd’hui, l’ex-sportive constate encore « ce parallélisme » avec les universités, toujours un « beau vivier ». Elle entraîne l’équipe réserve du Lille métropole rugby club villeneuvois.
« Comme il y a encore énormément d’étudiantes dans nos équipes, on se rapproche de l’université ou des écoles pour aller à la rencontre des profs, leur expliquer un peu le statut de la joueuse et avoir des aménagements de créneaux horaires. Ou bien des reports d’examens si la joueuse part en déplacement avec nous le samedi. »
La tendance pourrait toutefois évoluer, et la cartographie du rugby féminin « se redessiner un peu vers le Sud », selon Francis Costa. Le dirigeant pointe notamment le fort potentiel de développement dans la région Midi-Pyrénées : 1 851 joueuses sur 19 000 licenciées au plan national. Parmi elles, de nombreuses joueuses (306) enregistrées dans les catégories moins de 15 ans, signe que leurs premiers pas se font de plus en plus tôt. Et donc de moins en moins en fonction d’une présence universitaire : « Jusqu’à maintenant les filles commençaient le rugby sur le tard, une chose qui change progressivement », explique Hélène Ezanno.
« On privilégie les trains »
L’investissement de clubs professionnels masculins pourrait aussi modifier le paysage. Même si aucune obligation ne leur est faite, précise Céline Bourillot, de plus en plus de dirigeants ouvrent ou englobent une section féminine. C’est le cas à Montpellier, Toulouse, mais aussi à Romagnat, qui a désormais un partenariat avec les pros de Clermont. A terme, la différence financière pourrait pourtant se faire sentir avec les clubs féminins non adossés aux structures professionnelles d’un club masculin.
L’Ovalie caennaise, club historique du championnat, vient déjà de subir cette année une relégation en deuxième division. Le club compte sur un budget estimé « entre 150 000 et 170 000 euros par an », précise son président, Patrick Dziura-Keukelinck. « Quand on va à Toulouse ou Montpellier, on prend une nuit d’hôtel et il faut rentrer dès le lendemain parce que les filles vont au boulot [ou à l’université]. Pour l’instant on privilégie les trains [plutôt que les avions] », précise le Caennais.
Les clubs les mieux lotis approchent 250 000 euros, selon Mme Bourillot, qui réfléchit aujourd’hui à une réforme du championnat de France féminin. En vue : « Augmenter l’élite » et donc le nombre de clubs en première division à partir de la rentrée 2018. L’occasion, peut-être, de nouveaux voyages en train.