« Napalm » : Pyongyang mon amour
« Napalm » : Pyongyang mon amour
Par Mathieu Macheret
Soixante ans après son premier voyage, le cinéaste Claude Lanzmann revient en Corée du Nord.
Napalm se présente comme un film à part dans l’œuvre cinématographique de Claude Lanzmann, en ce qu’il relate un souvenir intime du cinéaste-historien, déjà consigné dans son livre Le Lièvre de Patagonie (2009). L’épisode remonte à 1958, lors du voyage effectué par la première délégation occidentale en Corée du Nord, dont l’auteur faisait partie aux côtés d’autres personnalités françaises, comme le dramaturge Armand Gatti ou le cinéaste Chris Marker. Il décrit plus particulièrement sa rencontre avec une jeune infirmière, Kim Kun-sun, coup de foudre suivi d’une dangereuse escapade d’une journée, au nez et à la barbe des autorités.
Avant cela, le film s’ouvre sur le retour, près de soixante ans plus tard, de Lanzmann sur les lieux de l’aventure. Se succèdent des vues saisissantes d’immenses avenues vides plantées de bâtiments rétrofuturistes, puis des images d’archives exposant les ravages de la guerre de Corée (1950-1953).
Le commentaire olympien de Lanzmann rappelle de quelle dévastation est sorti ce pays (4 millions de morts), éclairant ainsi l’origine de son isolement et de sa pétrification actuels. Il déjoue une certaine tendance à désigner la Corée du Nord comme une pure aberration sortie de nulle part.
Napalm s’attache, dans un premier temps, aux tribulations d’un Lanzmann chapeauté par des gardes-chiourmes qui ne lui permettent pas de filmer grand-chose, hormis quelques monuments, un mariage ou un entraînement de taekwondo. Gênée aux entournures, la démarche révèle surtout l’impossibilité d’enquêter dans un pays qui ne présente à l’étranger d’autre visage que celui du simulacre propagandiste.
Soubresaut charnel
La deuxième partie, le véritable cœur du film, laisse place au récit personnel de Lanzmann, qui s’adresse directement à la caméra. Le cinéaste s’y révèle un conteur hors pair, restituant point par point, et avec une grande force d’évocation, les circonstances, les lieux, les acteurs et le déroulement de l’« incident ». Montée du désir, manœuvres, fuite, peur, retour au bercail, bras de fer avec les autorités : le témoignage se fait tour à tour romance, film d’aventures, polar à suspense et mélodrame.
Il fallait donc en passer par l’expérience subjective du cinéaste pour qu’un morceau de Corée du Nord perdu dans le temps, mais rendu présent par l’exercice de la mémoire, s’incarne puissamment à l’écran. Un soubresaut charnel, rappelant à qui veut bien l’entendre que le pays n’est pas peuplé que d’automates en rangs d’oignons, mais d’êtres humains bel et bien vivants.
NAPALM de Claude Lanzmann - bande-annonce
Durée : 01:51
Documentaire français de Claude Lanzmann (1 h 40). Sur le Web : www.paname-distribution.com