Santé : les trop lents progrès vers les Objectifs du développement durable
Santé : les trop lents progrès vers les Objectifs du développement durable
Par Paul Benkimoun
Les chances d’atteindre le succès en 2030 sont minces sans « un engagement financier et politique extraordinaire », estime un collectif de 2 500 experts.
Rien ne garantit que le monde atteindra d’ici à 2030 les Objectifs du développement durable (ODD) ayant trait à la santé. Certes, les tendances observées depuis 1990 montrent que plus de 60 % des pays devraient parvenir aux cibles fixées pour les mortalités néonatale, infantile et maternelle, ainsi que pour le paludisme, mais moins de 5 % des pays seulement sont susceptibles de s’approcher du but s’agissant de la mortalité routière, du surpoids des enfants ou de la tuberculose. Cette analyse lucide du groupe d’étude de la « charge mondiale des maladies » a été publiée, mardi 12 septembre, dans la revue britannique The Lancet.
Elle a été menée par quelque 2 500 collaborateurs du projet, répartis dans 135 pays et coordonnés par l’Institute for Health Metrics and Evaluation, installé à l’université de Washington à Seattle. Les experts ont étudié les données de 188 pays pour 37 des 50 ODD liés à la santé. Ces 37 indicateurs vont du retard de croissance infantile à l’incidence de l’infection par le VIH, en passant par le suicide, l’accès à l’eau potable et à l’hygiène, la couverture vaccinale et la mortalité liée à la pollution de l’air. Une note a été attribuée à chacun d’eux, ce qui a permis d’obtenir un score global et un classement des pays.
Singapour, l’Islande et la Suède constituent le trio de tête avec une note globale de 87/100 pour le premier, de 86/100 pour les deux autres. La Norvège, les Pays-Bas, la Finlande, Israël, Malte, la Suisse et le Royaume-Uni complètent la liste des dix meilleurs élèves. Avec un score global de 73/100, la France est classée 26e, elle est devancée, entre autres, par l’Australie, le Canada, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, mais aussi Antigua-et-Barbuda, Chypre ou la Slovénie.
Les pays les plus en retard quasiment tous africains
A l’autre bout du spectre, l’Afghanistan ferme la marche des 188 pays étudiés. Mais dans l’ensemble, le groupe des Etats les plus en retard est outrageusement dominé par l’Afrique subsaharienne. Sur les 38 derniers de la liste, en dehors de l’Afghanistan, du Bangladesh, du Népal, du Yémen et de la Papouasie - Nouvelle-Guinée, tous sont africains.
L’Indice socio-démographique (ISD) est un instrument combinant le revenu par habitant, le nombre moyen d’années de scolarisation pour les 15 ans et plus et le taux de fertilité. Sans surprise, il conditionne les progrès des objectifs de développement. « Pour un sous-ensemble d’indicateurs, (…) les niveaux projetés d’accomplissement des ODD sont prometteurs, en particulier pour les pays ayant les ISD les plus élevés », soulignent les auteurs de cette étude. Ils notent cependant que ces projections positives restent des exceptions, « la plupart des pays, spécialement ceux d’Afrique de l’Ouest et centrale et les Etats, ayant un ISD bas, faisant face à un chemin difficile pour atteindre les ODD d’ici à 2030 sur la base des trajectoires actuelles », estiment-ils.
Les chercheurs ont ajouté quatre nouveaux indicateurs qui n’apparaissaient pas dans l’évaluation de la charge mondiale des maladies publiée en 2016 : la couverture vaccinale, les violences physiques et sexuelles, les abus sexuels sur les enfants, un registre des décès fiable, ainsi que des mises à jour de la mise en œuvre d’une couverture sanitaire universelle. Sur ce dernier point, le Cambodge, le Rwanda, la Guinée équatoriale, le Laos, la Turquie et la Chine sont ceux qui enregistrent les progrès les plus importants au cours de la période 2000-2016 grâce à des politiques volontaristes. A l’inverse, le Lesotho, la République centrafricaine et les Etats-Unis sont ceux pour lesquels la progression est la plus faible.
Tuberculose et VIH
Sans surprise, la France présente de très bonnes notes aux chapitres de la santé maternelle et infantile, des maladies transmissibles et non transmissibles et du développement. En revanche, ses points les plus faibles sont la consommation d’alcool (20/100), le tabagisme quotidien (28/100) et la mort par suicide (29/100). D’autres indicateurs obtiennent une note positive mais font tout de même baisser la moyenne : maladies professionnelles (63/100), surpoids infantile et incidence de l’infection par le VIH (64/100 tous les deux).
Les projections pour 2030, selon les tendances actuelles, ne poussent pas à l’optimisme. Moins de la moitié des pays atteindraient les objectifs s’agissant du suivi de l’accouchement en présence de professionnels de santé (48 %), de la qualité de l’air intérieur (40 %) et de l’existence de registres de décès fiables (35 %). Pis, seulement 7 % des pays seraient en mesure de tenir leur engagement en mettant fin, d’ici à 2030, à l’épidémie d’infection par le VIH, et aucun s’agissant de la tuberculose. Enfin, à cette date, moins de 5 % d’entre eux seraient à l’heure des ODD, en ayant su venir à bout du surpoids des enfants, de la mortalité par suicide ainsi que de la mortalité routière.
« Il est de plus en plus clair que l’agenda des ODD liés à la santé repose sur des progrès [qu’il faudrait] nettement accélérer, notamment parmi les populations les plus pauvres au monde », ne peuvent que constater les auteurs. « Voir ces efforts couronnés de succès n’est pas encore impossible, néanmoins, cela demandera un engagement financier et politique extraordinaire de la part des agences nationales comme internationales pour garantir que personne n’ait été abandonné en route en 2030 », concluent-ils.