Gérard, conjoint aidant : « Ma femme est devenue comme mon bébé »
Gérard, conjoint aidant : « Ma femme est devenue comme mon bébé »
Par Léa Sanchez
Vendredi 6 octobre, une journée nationale est consacrée aux proches de personnes dépendantes. Le conjoint d’Anne-Marie B., atteinte d’une pathologie neurodégénérative, témoigne de leur quotidien difficile.
Gérard et Anne-Marie B. sont mariés depuis 1969. Elle est atteinte d’une pathologie neurodégénérative apparentée à la maladie d’Alzheimer. | Le Monde / Léa Sanchez
Anne-Marie B. agrippe la main de son mari, Gérard, et émet un petit bruit avec sa gorge. « Oh, c’est rare, on ne l’entend presque plus maintenant », commente son époux avec un sourire. Elle est atteinte d’une dégénérescence fronto-temporale (DFT), une pathologie neurodégénérative apparentée à la maladie d’Alzheimer. Ses premiers symptômes sont apparus il y a onze ans avec des troubles du langage. Désormais, la retraitée de 72 ans ne peut plus parler et son mari, qui préfère garder son anonymat, prend soin d’elle au quotidien.
A l’occasion de la Journée nationale des aidants, chaque 6 octobre, de nombreux événements sont organisés pour faire découvrir les mesures destinées à aider ces 8 à 11 millions de Français qui s’occupent de manière régulière et dans la durée de proches dépendants.
Depuis mars 2016, ceux qui prennent soin de personnes âgées peuvent notamment bénéficier d’un « droit au répit », une aide annuelle de 500 euros destinée à financer ponctuellement un dispositif d’accueil. De quoi permettre aux aidants de souffler. « Certains n’ont même plus le temps le temps de sortir et s’enferment dans l’isolement », explique Florence Leduc, présidente de l’Association française des aidants. Mais le droit au répit est encore peu utilisé. En cause, le manque d’information et les critères d’attribution. Mais pas seulement.
En tant que conjoint et aidant, Gérard évoque d’autres difficultés : « Pour se faire accompagner, il faut d’abord accepter le fait que l’on n’arrive plus à s’en sortir tout seul. » Lui n’a sollicité des aides à domicile que trois ans après l’apparition de la maladie de sa femme, qui reçoit quotidiennement les soins d’infirmières et qui se rend trois fois par semaine dans un centre d’accueil de jour. « Je me suis rendu compte que je n’arrivais plus à tout faire : travailler, faire la cuisine, les courses…, énumère cet ingénieur qui, aujourd’hui encore, maintient une activité professionnelle. C’est difficile d’accepter que quelqu’un vienne troubler son intimité. »
Une attention permanente
Assise sur un banc, sur la terrasse ensoleillée de sa maison de Saint-Paul-de-Vence, près de Nice, sa femme regarde ses interlocuteurs d’un air parfois absent, parfois connivent. Sans que l’on sache précisément quelle perception elle a encore des autres et d’elle-même.
« C’est difficile de ne plus pouvoir communiquer comme avant, explique Gérard en caressant doucement la main de celle qu’il a épousée en 1969. C’est comme si l’être qu’on aimait avait disparu. Mais pas tout à fait non plus. »
Il n’est plus seulement mari, il est aussi infirmier : « On reste un couple bras dessus, bras dessous. On se balade, on va au café, mais Anne-Marie est devenue comme mon bébé. J’ai organisé tout un quotidien pour s’en occuper. » Une sonnerie lui rappelle par exemple les moments il doit l’emmener aux toilettes.
Gérard et Anne-Marie B. sont mariés depuis 1969. / Le Monde / Léa Sanchez
Conséquence : un cocon de couple transformé. Il est difficile, pour un conjoint, d’accepter l’idée de mettre des couches à sa femme – « au début, c’était pour moi une telle déchéance que je n’y arrivais pas ». En plus d’une organisation millimétrée, tout doit faire l’objet d’une attention permanente. Il y a quelques années, à la veille d’un réveillon de Noël chez les parents de leur belle-fille, Anne-Marie s’est plongée dans un bain brûlant sans alerter son époux. Elle a dû être hospitalisée à cause de brûlures.
Gérard se lève pour aller chercher le repas préparé par son aide à domicile. C’est une assiette de salade, dont il porte les feuilles à la bouche de sa femme. « Au début, elle avait juste besoin d’aide pour couper sa viande », dit-il. Avec l’évolution de la maladie, d’autres gestes sont devenus plus compliqués pour elle.
Et puis, depuis quelques minutes, elle semble ailleurs. Un sourire illumine son visage, caché derrière ses lunettes de soleil. Son vernis rouge est assorti à la couleur de sa chemise. « Il commence à devenir écaillé, remarque Gérard. Il faudra que je lui fasse refaire : ça, je n’y arrive pas encore seul. »
Une relation de couple difficile à maintenir
La toilette, par contre, il s’en occupe déjà les week-ends. Au début, c’était difficile. Maintenant, c’est devenu leur moment d’intimité. « De tendresse, même », ajoute Gérard. Il y passe « une heure environ, une durée que les infirmières ne peuvent pas se permettre ». « Je sais qu’un jour je ne pourrais pas la garder, par exemple si mon état de santé se détériorait », reconnaît-il. Une échéance qu’il veut repousser le plus longtemps possible.
Quelques solutions existent pour maintenir des couples aidant-aidé ensemble : à Paris, par exemple, la Fondation UTB mettra bientôt à disposition des appartements adaptés pour les couples dont l’un des membres est atteint de la maladie d’Alzheimer. Ils seront entourés par des bénévoles, et auront un accès facile aux soins.
Mais Gérard, ancien Parisien qui pensait venir passer une partie de sa retraite dans la capitale, n’est pas encore prêt à passer ce cap, même s’il apprécie le concept. « Ça implique de déménager, de perdre tous ces repères établis au fil des années pour la maladie d’Anne-Marie. » Un équilibre qu’il ne veut pas bouleverser pour l’instant.
Des « séjours de répit »
Financièrement, il s’en sort. Mais ce n’est pas simple pour tous les aidants. Selon le baromètre de la Fondation April avec l’institut BVA publié en septembre 2016, un tiers d’entre eux déplorent le manque d’aide financière. La même enquête indique que 35 % des aidants estiment ne pas avoir assez de temps pour eux-mêmes. Gérard, lui, a réussi à trouver un moyen de souffler. De temps à autre, il participe à des « séjours de répit ».
Avec d’autres couples dans la même situation, ils se retrouvent autour d’activités de détente. Des mini-vacances qui se terminent par un temps d’échange entre aidants. « Ça nous permet d’exprimer des choses qu’on ne peut dire qu’à quelqu’un dans le même cas que nous. » De briser le silence. D’ailleurs, il s’excuse d’être bavard : « Je n’ai pas l’habitude de pouvoir raconter tout cela en détail. »