Mark Millar ou l’art d’écrire des succès Marvel à Hollywood
Mark Millar ou l’art d’écrire des succès Marvel à Hollywood
Par Pauline Croquet
Père de « Kingsman » et de « Kick-Ass », l’auteur de bande dessinée multiplie les succès à Hollywood… au point d’agacer une partie des lecteurs.
Kick-Ass, Kingsman, Avengers. Aux origines de ces trois succès cinématographiques – qui ont respectivement rapporté 100 millions, 414 millions et 1,5 milliard de dollars –, un homme : l’auteur de comics Mark Millar. Les histoires que cet Ecossais invente en bande dessinée se transforment pour la plupart en or dans les studios hollywoodiens.
Et c’est encore une de ses créations qui caracole en tête du box-office cette semaine : Le Cercle d’or, deuxième volet des aventures des espions de Kingsman. Le succès de ce faiseur de hits a été couronné en août avec le rachat de son label de BD, créé en 2004, Millarworld, par le géant Netflix.
KINGSMAN 2: LE CERCLE D'OR Bande Annonce VF Officielle (2017)
Durée : 02:22
Le montant de la transaction est resté secret, mais le Guardian place la fourchette entre 50 millions et 100 millions de dollars. Cette toute première acquisition de l’histoire de la plate-forme de streaming est loin d’être anodine. A l’heure où elle va perdre l’accès au catalogue Disney-Marvel s’ouvre à elle une galerie d’histoires et de héros sur lesquels les studios s’empressaient de prendre des options.
« A l’heure actuelle, seuls deux auteurs de comics ont fait de leur nom une véritable marque : il y a Robert Kirkman, le créateur de The Walking Dead, et Mark Millar », dit Xavier Fournier, journaliste spécialiste des comics et auteur de Super-héros : l’envers du costume (Fantask, 2016). D’ailleurs, la société de production de Kirkman, Skybound Entertainment, a passé un accord, elle aussi en août, avec la plate-forme Amazon Prime Video.
Devenir Marvel
Mark Millar, 47 ans, répète à l’envi vouloir un jour remplacer Marvel, l’une des deux majors américaines de comics. Le géant des super-héros lui doit d’ailleurs de belles rentes au cinéma. Après avoir fait ses armes dans la concurrence, le scénariste entre au service de Marvel en 2001. On lui confie, avec l’aide du dessinateur Bryan Hitch, le dépoussiérage de vieux héros nés de l’imagination de Stan Lee et de Jack Kirby : les Avengers, dans la série rebaptisée Ultimates. C’est elle qui va servir de terreau à la saga Avengers portée à l’écran depuis 2012.
« Le personnage Nick Fury sous les traits de Samuel L. Jackson, c’est son idée, rappelle en guise d’anecdote Xavier Fournier. Mais l’œuvre qui a fini de le catapulter au rang des auteurs les plus en vue, c’est Civil War. Elle reste la référence en matière de “cross-over”, des séries où se rejoignent plusieurs super-héros. » Publiée en 2006, elle raconte l’affrontement entre de nombreux super-héros, Captain America et Iron Man en tête, au sein d’une Amérique ultrasécuritaire, reflet de la société de l’après 11 septembre 2001.
« Millar est l’un des rares scénaristes de BD qui dépassent le cercle des aficionados de comics », assure Aurélien Vives, rédacteur à Panini, éditeur de Marvel et du Millarworld en France. Auprès de profanes, le créateur se fait connaître lors de l’adaptation des mésaventures d’un super-héros adolescent ordinaire et sans pouvoirs, Kick-Ass, en 2010. Le film, refusé au départ par de nombreux studios, rapportera au niveau mondial au moins trois fois plus que son budget ; et signe une collaboration de long terme entre Millar et le réalisateur anglais Matthew Vaughn.
KICK-ASS - bande-annonce - VF
Durée : 02:01
La réputation de Millar dans l’univers de l’édition se forge toutefois dès ses débuts. Il appartient à la British Invasion, une vague d’auteurs britanniques têtes brûlées comme Alan Moore, Warren Ellis ou Garth Ennis, que les majors ont embauchés pour leur irrévérence et leur capacité à « mettre du poil à gratter », selon les termes de Xavier Fournier.
C’est d’ailleurs son concitoyen scénariste de comics Grant Morrison, depuis multiprimé aux Eisner Awards pour All-Star Superman, qui l’introduira dans le milieu et le fera entrer chez DC, principal concurrent de Marvel, au début des années 1990. Le jeune homme issu d’une famille ouvrière catholique modeste va alors affûter son style sur des séries mourantes ou iconoclastes. « Il a notamment repris une série de Warren Ellis et Bryan Hitch, espèce de Justice League destroy, violente et impolitiquement correcte », explique Xavier Fournier.
Une recette qui peut irriter
Parallèlement, Millar invente plusieurs histoires qui ne trouvent que peu d’écho parmi les majors. Ecrire pour Marvel et DC revient à abandonner des droits sur ses créations. Et à ne pas percevoir de royalties sur les adaptations au cinéma. Ce qui le pousse à lancer son label, Millarworld, en 2004.
« Il commence alors à inventer son propre système, dit Xavier Fournier. Il proposait une histoire à DC ou Marvel, et si cela ne marchait pas, il pouvait changer le titre et la mettre dans le Millarworld. Wanted, l’un de ses meilleurs succès en librairie, avait été refusé par DC. » Pour autant, il ne se fâche pas avec les maisons d’édition qui restent pragmatiques : « Si elles peuvent refaire un gros coup à la Civil War, elles signeront de suite avec Millar », assure le journaliste.
Wanted / Millarworld
Millarworld héberge aujourd’hui une quinzaine de titres. Des séries parfois inégales mais jamais de gros échecs. Pourtant, la recette Millar peut irriter quelques lecteurs. On lui reproche parfois son système d’écriture et de publication conçu pour devenir, par la suite, un film ou une série – très peu de tomes, des pitchs divers et un sens du décalage systématique : « Et si tel héros devenait méchant ? » ; « comment un héros se comporte-t-il sans pouvoir ? » ; « que fait un héros quand il devient vieux ? » ; etc. « A la lecture de la plupart de ses comics, on imagine facilement ce que cela peut devenir à l’écran », dit Aurélien Vives.
Un Stan Lee britannique ?
De même, l’Ecossais cultive une réputation paradoxale : « Il a commencé comme un punk écossais, il donnait plutôt dans la contre-culture en cassant les icônes. Puis il a fini par empocher le magot en se faisant racheter par Netflix », résume Xavier Fournier. Dans ses interviews et ses déclarations sur Twitter, le ton est parfois pédant, sûr de lui, entrepreneurial. « Un peu troll », reconnaît Aurélien Vives. Le cynisme distillé dans ses BD ne le sauve pas beaucoup.
Mark Millar est très présent sur les réseaux sociaux et animateur de sa communauté en ligne de « millarworlders ». Aussi, certains y voient-ils un côté Stan Lee, l’ancien patron de Marvel qui aimait (et aime toujours à plus de 90 ans) se mettre en scène, fouler les tapis rouges et fédérer une communauté de fans. « C’est une chose de le lire, mais il faut le voir en convention, c’est un gamin espiègle », dit Xavier Fournier.
Mark Millar lui-même se revendique fanboy. Il lit beaucoup, va voir tous les films de super-héros — « même les bouses ! », disait-il en 2016 dans un entretien à Télérama. Il juge pourtant la plupart des films récents « trop sombres ! » : « Si moi, qui ai consacré ma vie entière aux comics, je m’ennuie devant ces films, alors tout le monde s’ennuiera. (…) Je pense qu’ils devraient penser à des films plus familiaux. (…) Je suis le plus grand fan de Superman. J’ai la cape de Superman, celle de Christopher Reeve, accrochée dans mon bureau. J’ai aussi le chat, empaillé, du premier film… » L’auteur a décidé de ne pas céder aux sirènes de Los Angeles et continue de vivre à temps plein dans son pays natal.
Partager équitablement
« Au fond, Millar aime les gens, ne doute pas Aurélien Vives. La liste de dessinateurs stars qui collaborent avec lui dans Millarworld, Capullo, Quitely, Romita Jr., ça parle pour lui. » Il faut dire que, à la différence des majors qui payent les dessinateurs à la commande, Millar embauche sur des séries courtes et partage les gains avec les dessinateurs, qui ne perdent pas non plus leurs droits sur les adaptations cinématographiques. Finalement, ils sont beaucoup mieux rémunérés chez Millar.
« La stratégie mercantile de Millar n’est pas encore problématique pour Marvel et DC, qui peuvent encore se réfugier derrière leur répertoire immense de personnages et vivre sur leurs acquis, analyse Xavier Fournier. Bien sûr, il n’est pas à l’abri de se prendre une claque commerciale qui mette son business plan à mal. Mais il a de la ressource. »
Jupiter’s Legacy / Millarworld
Si ses best-sellers ont déjà trouvé leur licence, Millar a dans sa manche quelques séries qui cherchent encore un réalisateur. « Sur le papier, Chrononauts, Starlight et Jupiter’s Legacy pourraient être de très gros films qui pourraient dépasser les recettes des films Marvel d’ici à 2018 », assurait-il au Point en 2016.
Les derniers scénarios de Millar marquent un tournant dans sa carrière, font un pas de côté. « Il n'y a pas que des histoires de super-héros, et certaines œuvres traduisent une véritable volonté de féminiser son univers, comme avec Reborn », note Xavier Fournier. Pour Aurélien Vives, « il opère un retour à l’âge d’or, au super-héros lumineux ». « Il s’est imposé dans le comics en détruisant des icônes, et là, finalement, il les réinstalle », s’amuse Xavier Fournier.