« Octobre blanc » : la révolution au sommet
« Octobre blanc » : la révolution au sommet
Par Antoine Flandrin
Sylvain Tesson s’est rendu sur les cimes du Tadjikistan, gravies autrefois par les dignitaires du régime soviétique.
Pic Lénine, pic Karl-Marx, pic Engels, pic de la Révolution… Ces sommets culminant à plus de 6 500 mètres se trouvent tous dans le massif du Pamir, au Tadjikistan. Du temps de l’Union soviétique, les dignitaires du régime, à l’instar de Viatcheslav Molotov, traversaient l’empire pour gravir ces monts qu’ils avaient rebaptisés à la gloire des grandes figures et des grandes heures du communisme. L’alpinisme faisait alors partie des « réalisations du socialisme ».
Fin connaisseur de l’âme russe, l’écrivain-voyageur Sylvain Tesson commémore le centenaire de la révolution d’Octobre en reprenant, dans le Pamir, les sentiers de l’épopée érudite. En 2012, dans les pas de la Grande Armée, il avait roulé en side-car de Moscou à Paris pour célébrer le bicentenaire de la retraite de Russie, périple qui avait donné lieu à une aventure livresque (Berezina, Guérin, 2015).
Paysages à couper le souffle
Le film Octobre blanc retrace son expédition dans le Pamir, de vallées en sommets, à travers des paysages à couper le souffle, de la capitale tadjike, Douchanbé, au pic Karl-Marx. Entre observations fines et réflexions de comptoir, Sylvain Tesson évoque la révolution de 1917, l’écriture, l’alpinisme, citant Gagarine, Pessoa ou Jankélévitch. Si Tesson ne cache pas son affection pour les villageois nostalgiques des sovkhozes et autres « bienfaits » du communisme, il reste lucide face aux réalisations d’une idéologie qui « mène au goulag ». Au cours de ses ascensions, l’écrivain, dont une partie du visage est restée paralysée après une chute de dix mètres en 2014, se révèle un opiniâtre premier de cordée, comme transcendé par « ces paysages qui n’ont pas besoin de nous ».
Ce beau documentaire, diffusé à 23 h 15, clôt une soirée consacrée au centenaire de la révolution d’Octobre. Plus tôt, à 22 h 20, Arte revient, dans Splendeur et misère des tsarines allemandes, sur une facette assez méconnue des relations germano-russes. Non moins intéressant, Le Tragique Destin des Romanov, à 20 h 50, retrace les seize dernières années de la vie du tsar Nicolas II, de la tsarine Alexandra et de leurs cinq enfants. Ce film de Patrick Cabouat s’appuie sur le journal intime de Pierre Gilliard, précepteur suisse des enfants du tsar (Treize années à la cour de Russie, Payot, 1921).
Interprété par un acteur, Pierre Gilliard apparaît dans de nombreuses scènes de reconstitution. Si les plans où on l’aperçoit devant sa machine à écrire finiraient presque par lasser, l’intérêt du film réside surtout dans sa richesse iconographique : Pierre Gilliard prit des centaines de photographies de la famille impériale dans leur demeure de Tsarskoïe-Selo, à Saint-Pétersbourg ; au palais de Livadia, au bord de la mer Noire ; ou à Tobolsk, en Sibérie orientale, après que le tsar a abdiqué.
Le film croise ce témoignage unique avec un vibrant récit des événements qui ébranlèrent la Russie au début du XXe siècle, de la révolution de 1905 à celle de 1917, en passant par la première guerre mondiale et la guerre civile de 1917-1922. Si le film gagne en clarté grâce aux précisions des historiens, notamment celles d’Orlando Figes et d’Hélène Carrère d’Encausse, on regrettera qu’aucun spécialiste russe n’intervienne dans ce film.
Octobre blanc, de Sylvain Tesson (Fr., 2017, 43 min).