Reprise : « Carrie », l’opéra baroque et sanguinaire de Brian De Palma
Reprise : « Carrie », l’opéra baroque et sanguinaire de Brian De Palma
Par Murielle Joudet
Le film, adapté en 1976 du premier roman de Stephen King, avec Sissi Spacek, ressort en salle.
Adapté du premier roman de Stephen King paru en 1974, Carrie est l’histoire d’une jeune fille comme Hollywood et le cinéma d’épouvante aiment les raconter. C’est l’histoire d’un corps endormi qui se réveille. Un corps qui, en entrant dans sa puberté, se voit doté du pouvoir de télékinésie : Carrie, incarné par la virginale Sissi Spacek, peut déplacer les objets par sa seule volonté. Ce pouvoir survient tandis qu’elle se trouve dans les vestiaires de son lycée.
Le film sort en 1976 : les photos de jeunes filles dénudées plongées dans la lumière vaporeuse de David Hamilton (mort en 2016) connaissent un succès retentissant et inspirent certains cinéastes – en 1975 est sorti Pique-nique à Hanging Rock, de Peter Weir. Lors de sa scène d’introduction, Brian De Palma se ressaisit de cette imagerie pour la tordre sous le poids de sa propre obsession : sa relecture cinéphile du cinéma d’Alfred Hitchcock. De la vapeur d’eau envahit le vestiaire des filles qui se dénudent, se douchent et se rhabillent tandis qu’un travelling glisse le long des corps pour s’arrêter sur celui, fragile et menu, de Carrie White, la risée du lycée. Du découpage jusqu’à la musique, tout rappelle la fameuse scène de la douche de Psycho. A un détail près : cette fois-ci, nul coup de couteau ne fait couler le sang. Carrie White a ses règles. Mais cet événement est vécu comme une catastrophe incompréhensible : personne ne lui a dit ce que c’était.
Une manifestation du Diable
De Palma exploite la cinégénie particulière du corps de la jeune fille, toujours filmé comme le lieu d’un passage. Un corps en crise, tiraillé entre les exigences du puritanisme parental, incarné ici par sa mère bigote intégriste pour qui les règles de Carrie sont une manifestation du Diable, et l’entrée dans l’adolescence qui voit émerger le corps sexué. Cette adolescence, De Palma la filme comme un cauchemar de frivolité et d’hormones en folie dans lequel Carrie n’a pas sa place. Sur le campus, garçons et filles ne vivent que pour une seule chose : le bal de fin d’année.
Les codes du teen-movie sont plongés dans la féérie du conte de Cendrillon que De Palma transforme en farce cruelle et macabre. Comme Cendrillon, Carrie White supplie sa mère de l’autoriser à se rendre au bal et se confectionne elle-même sa robe de soirée. Son cavalier n’est autre qu’un garçon du lycée qui l’a prise en pitié. Elue reine du bal, plongée dans un bain de couleurs et de paillettes, Carrie vit son rêve, mais celui-ci se referma sur elle comme un piège. Comme sa jumelle de conte, une humiliation fera basculer la rêverie dans un opéra baroque et sanguinaire. À cause d’une vengeance fomentée par l’une de ses camarades, le corps étincelant de l’héroïne est noyé dans un bain de sang qui renvoie à la souillure de la scène initiale, réveillant la colère de Carrie, sans doute la plus destructrice de l’histoire du cinéma.
Pouvoir de destruction
Cette dernière scène d’apocalypse évoque à bien des égards la fin de Phantom of the Paradise réalisé deux ans plus tôt. Des concerts de rock aux bals adolescents, ce sont deux scènes constitutives de la culture américaine que de Palma se plaît à détraquer. De concert avec son héroïne dont la télékinésie engendre un pouvoir illimité de destruction, de Palma prend un plaisir d’enfant à orchestrer l’effondrement de ces deux spectacles dans une débauche d’effets visuels et pyrotechniques. Comme beaucoup d’autres personnages du cinéma de Brian De Palma, la petite Carrie White s’est, elle aussi, perdue dans un puits sans fond d’images. La maison familiale, le lycée, le bal de promo ne sont ici que des décors sans substance et sans âme qui s’enflamment et s’effondrent au contact du courroux de Carrie. Il ne faut pas contrarier les rêves d’une jeune fille sous peine de réveiller la sorcière tapie en elle.
CARRIE de Brian De Palma - Le 1er novembre au cinéma [Bande-annonce HD]
Durée : 02:04
Film américain de Brian De Palma (1976) avec Sissi Spacek, Piper Laurie, Amy Irving (1 h 28). Ressortie en salle le 1er novembre. Sur le Web : www.splendor-films.com et www.facebook.com/SplendorFilms