Visite à Pékin : « Donald Trump est un cadeau inouï pour la Chine »
Visite à Pékin : « Donald Trump est un cadeau inouï pour la Chine »
Pour Harold Thibault, journaliste au service International du « Monde », la politique de Donald Trump peut profiter aux ambitions chinoises.
L’Asie est le continent qui tire la croissance mondiale et le lieu d’une lutte d’influence entre deux géants, les Etats-Unis et la Chine. Ici, le président Donald Trump avec son homologue chinois, Xi Jinping, jeudi 9 novembre, à Pékin. / THOMAS PETER / REUTERS
Le président des Etats-Unis, Donald Trump achève, en Chine, sa tournée asiatique. Il a été reçu, jeudi 9 novembre, par le président Xi Jinping. Harold Thibault, journaliste au service International du Monde, a répondu aux questions des lecteurs du Monde.fr.
Ariel : Bonjour, je ne comprends pas très bien ce qu’il se passe, pouvez-vous faire un résumé rapide pour savoir pourquoi Donald Trump s’est rendu en Chine ?
L’Asie est le continent qui tire la croissance mondiale et le lieu d’une lutte d’influence entre deux géants, les Etats-Unis et la Chine. De sorte qu’il est important pour les présidents américains d’aller y travailler leurs alliances et marquer leur présence. Ensuite, contourner la Chine serait déjà marquer une forme d’hostilité, alors que dans le discours officiel les Etats-Unis acceptent la montée en puissance du géant chinois. Enfin, et malgré le discours anti-chinois de M. Trump, la Chine, économie en forte croissance, est un terrain de « deals » potentiels pour Donald Trump. Il peut y signer des contrats, donc revendiquer en rentrant aux Etats-Unis des créations d’emplois et des investissements.
andrea : Quel circuit est prévu par M. Trump et son équipe en Chine ? Et quels sont les objectifs de cette visite ?
Le président effectue une tournée de douze jours en Asie, il visite cinq pays, de sorte qu’il ne se rend que dans une ville en Chine : Pékin. La Chine lui avait promis une « visite d’état + », c’est-à-dire un accueil en grande pompe. La Chine a vite compris qu’il fallait travailler sur son ego. Et de fait, le président américain a semblé très impressionné par la présence d’enfants agitant des drapeaux américains et chinois le long du parcours de l’aéroport de Pékin au centre-ville.
Leopold : Par rapport à son prédécesseur, peut-on parler de virage diplomatique opéré par Donald Trump dans les relations américaines avec le continent asiatique, et en particulier la Chine ?
C’est un réel virage : il a abandonné le Partenariat transpacifique (TPP), un projet de zone de libre-échange contournant la Chine, porté par Barack Obama, qui était le volet économique du « pivot vers l’Asie » de l’ex-président, car Donald Trump, le protectionniste, jugeait qu’il allait nuire aux emplois américains. C’est du pain béni pour la Chine qui voyait le « pivot » de M. Obama comme un effort pour freiner son ascension historique.
Puis arrivé à Pékin, et malgré toutes ses sorties contre la Chine lors de la campagne électorale, M. Trump dit finalement qu’il « n’en veut pas à la Chine » pour le déficit commercial, qui est la faute des présidents précédents. Donc sur le commerce, c’est un « tigre de papier », comme on le dit en Chine.
De plus il n’embête pas le pouvoir chinois sur les droits de l’homme et n’est pas avare de qualificatifs positifs sur Xi Jinping, dont il admire le pouvoir. C’est une forme de reconnaissance de la puissance chinoise par son principal concurrent stratégique.
Etudiante15 : Est-ce que la Chine serait vraiment prête à aller contre la Corée du Nord pour quelques accords avec les Etat-Unis ?
La Chine n’a pas besoin des Etats-Unis pour être agacée par la Corée du Nord : la population s’inquiète des essais nucléaires et tirs balistiques réalisés par Pyongyang. La Chine, qui veut de la stabilité à l’heure de sa propre ascension, s’agace de l’agressivité du voisin nord-coréen. Mais elle ne peut pas le laisser s’effondrer, sinon les troupes nord-américaines basées en Corée du Sud se retrouveraient à sa frontière. Elle doit donc naviguer entre ces deux contraintes.
Elle est déjà allée contre la Corée du Nord en votant le renforcement des sanctions à l’ONU ces derniers mois. Donc Xi Jinping a pu dire à M. Trump, qui le pressait de faire davantage, qu’il faisait déjà beaucoup. La limite, c’est le pétrole : Pékin considère qu’en suspendant ses livraisons de pétrole à Pyongyang, le régime serait menacé, donc ne veut pas s’y résoudre. Elle ne cède pas là-dessus pour l’heure. Donc on peut dire qu’elle ne cède pas sur le plus sensible, juste pour des contrats avec les Etats-Unis.
Adrien : De manière générale, quel était le but de la tournée asiatique de M. Trump ?
On pourrait dire que le but principal de cette tournée asiatique était d’obtenir de la Chine qu’elle fasse davantage contre la Corée du Nord. Mais on peut tout aussi bien considérer que M. Trump n’avait pas vraiment de but. Il y a eu assez peu de discussions au niveau diplomatique en amont. Il voulait des promesses d’achats qu’il puisse revendiquer, et les Chinois l’ont bien compris. Il devait aussi rassurer : il a tellement inquiété pendant sa campagne électorale, qu’un an après son élection il doit encore calmer le jeu à l’international – le Japon et la Corée du Sud, leur faire comprendre que leur alliance n’a pas changé, malgré les critiques ; mais aussi la Chine, lui dire qu’il ne veut pas de guerre commerciale.
Mais au-delà de ça, il n’a pas articulé de vision claire de ce que devrait être, selon lui, la politique des Etats-Unis concernant l’Asie. Il n’en a probablement pas. Il a détruit le TPP, inquiété les alliés, mais rien proposé d’autre, de constructif.
Alice : Diplomatiquement, en dehors du dossier nord-coréen, comment se portent les relations américaines en Asie ?
Beaucoup de pays d’Asie sont désormais tiraillés entre la Chine et les Etats-Unis, ils en jouent d’ailleurs. Exemple : la Thaïlande, gouvernée par une junte militaire, s’est rapprochée de la Chine lorsque la diplomatie américaine a critiqué la politique dure de l’armée au pouvoir. Mais la montée en puissance de la Chine fait peur à beaucoup : ils ne savent pas quelles sont ses intentions à long terme.
En Birmanie, en Thaïlande, au Vietnam, au Cambodge, aux Philippines, ou encore à Taïwan, les citoyens s’inquiètent de perdre la main du fait de l’influence de la Chine, sur leurs économies, mais donc aussi sur leur gouvernement. On peut dire qu’il y a un « besoin » d’Amérique de ce point de vue pour contrebalancer les ambitions chinoises.
Citoyen européen : Avec la fin du TPP, le retrait de l’accord de Paris et sa défense du protectionnisme, M. Trump n’est-il pas le meilleur ami de la Chine, malgré sa rhétorique quasi sinophobe (surtout durant sa campagne) ?
Absolument. Trump est un cadeau inouï pour la Chine : il a détruit lui-même le TPP que la Chine ne cessait de critiquer, et lui a pris la place de « vilain de la planète » sur la question climatique. En janvier, à Davos [Forum économique mondial, en Suisse], Xi Jinping a même pu se présenter comme le chantre du libre-échange, alors que, depuis cinq ans, il a plutôt renforcé le rôle du parti unique dans l’économie qu’ouvert au secteur privé et aux investissements étrangers.
La Chine considère qu’elle est sur une trajectoire qui la mènera, si elle continue de mener sa barque avec intelligence, au rang de première puissance mondiale. Donc voir le « numéro un » se tirer une balle dans le pied, c’est un cadeau inespéré.