« Je me suis assis, et j’ai conçu “PlayerUnknown’s Battlegrounds”, le jeu auquel je voulais jouer »
« Je me suis assis, et j’ai conçu “PlayerUnknown’s Battlegrounds”, le jeu auquel je voulais jouer »
Propos recueillis par William Audureau
Brendan Greene est passé en quelques semaines de modeste bidouilleur à créateur du jeu sensation de l’année.
C’est l’histoire d’un succès qui semble inarrêtable. Le 7 novembre, le jeu de tir phénomène de l’année 2017, PlayerUnknown’s Battlegrounds (dit « PUBG »), a franchi le cap symbolique des 20 millions de ventes, alors qu’il n’est pas encore disponible sur console (il sortira le 14 décembre sur Xbox One) et est encore en version non définitive sur ordinateur.
A l’occasion de la Paris Games Week, Pixels s’est entretenu avec son créateur, l’Irlandais Brendan Greene, 41 ans, plus connu sous le pseudonyme de PlayerUnknown. Un cas unique de joueur propulsé star du jeu vidéo sur le tard, au look passe-partout et qui se présente volontiers comme un consommateur plutôt que comme un créateur.
Combien d’interviews avez-vous données ce week-end ?
Ces deux derniers jours, j’en ai données entre vingt et trente. Il y en avait une au moins toutes les demi-heures ! Ce sont souvent les mêmes questions qui reviennent, mais la plupart étaient intéressantes. Les gens me parlent de mon jeu, je ne peux pas m’en lasser.
Quand avez-vous commencé à jouer ?
Black Hawk Down (2003), un des précurseurs des simulations militaires en ligne. / Novalogic
Mon père m’a ramené de voyage un Atari 2600, c’était ma première console. Puis il m’a offert un ordinateur portable qui m’a servi à jouer à Doom et à plein d’autres jeux. Mais ma première expérience en ligne, ce fut avec un Multi-user dungeon [un jeu de rôle informatique hébergé sur un réseau]. Ce n’était que du texte, mais j’étais là et je me disais, oh mon dieu, il y a plein d’autres gens avec moi, avec qui je peux communiquer !
Mon premier vrai jeu en ligne a été Delta Force : Black Hawk Down, de NovaLogic. Il y avait du contenu généré par l’utilisateur, des modes de jeu et des cartes personnalisables… J’ai joué à ce foutu jeu jusqu’au bout, jusqu’à ce que le service ferme.
Vous aviez d’autres passions, enfant ?
Je faisais un peu de rugby. Mais je m’intéressais surtout aux jeux vidéo et à la musique. J’ai commencé à faire DJ à 17 ans, ça a été ma passion jusqu’à la vingtaine. J’étais à fond dans les vinyles, puis je me suis mis à utiliser des CD.
Avez-vous des idoles parmi les créateurs de jeu vidéo ?
Non, parce que je ne suis pas un gros joueur, je ne joue pas à beaucoup d’autres jeux. Mais j’aime les travaux de Hideo Kojima [le concepteur de la série Metal Gear Solid], je n’ai pas énormément joué à ses jeux, mais j’adore le fait qu’il soit si obsédé par la narration de ses histoires, qui sont incroyables. Nolan Bushnell [fondateur d’Atari, la première entreprise de jeu vidéo] est aussi un héros pour moi, car je dis toujours en interne que « nos jeux devraient être faciles à jouer et difficiles à maîtriser » ; c’est la « loi de Bushnell », et ses œuvres sont très inspirantes. Mais c’est à peu près tout.
J’ai croisé Tim Schaffer, je ne savais même pas qui c’était ! Le cinéma, je connais, la musique, je connais, mais le jeu vidéo, je ne maîtrise pas tellement ce côté-là. Il m’arrive maintenant de croiser de célèbres game designers et de leur demander qui ils sont.
Vous êtes un créateur de jeux atypique…
Je suis un consommateur qui crée des jeux vidéo. Je ne suis pas un game designer. J’ai le point de vue d’un joueur, c’est pour ça que j’ai été très ouvert pendant le développement : je sais ce que les consommateurs veulent car j’ai été l’un d’eux. Ma seule expérience de créateur, c’est Battlegrounds, ça s’est bien passé, mais bon.
Quand avez-vous commencé à envisager de faire des jeux vidéo ?
Je ne l’avais jamais vraiment envisagé ! J’ai été photographe et designer presque toute ma vie, c’était ça ma carrière. J’habitais au Brésil, et je suis retombé dans le jeu vidéo avec le mod DayZ pour Arma II. C’était si différent de tout ce à quoi j’avais joué… C’était un vrai monde ouvert, on pouvait aller n’importe où, et il n’y avait aucune règle, si ce n’est de survivre. Je trouvais ça fascinant. Un jeu sans chemin à suivre. Faites ce que vous voulez !
« DayZ », variante post-apocalyptique et survivaliste de la simulation militaire « Arma II ». / Bohemia
J’adorais cette idée. Après avoir géré un serveur pendant quelque temps, et appris comment ajouter du contenu au jeu, des armes, je me suis dit que c’était cool. J’ai vu les streamers commencer à faire des événements tous les deux ou trois mois sur les jeux de survie à la DayZ pour commenter ces espèces de Hunger Games virtuels avec une quinzaine d’équipes de deux.
Je voulais jouer à quelque chose comme ça, j’aimais l’affrontement entre joueurs, j’aimais chercher et collecter des objets, mais je ne pouvais pas y jouer car c’était des événements réservés aux streamers. Alors je me suis assis, et j’ai conçu Battlegrounds, le jeu auquel je voulais jouer.
Comment se fait-il que vous vous y connaissiez en programmation ?
J’étais webdesigner en même temps que designer, donc je sais coder. Le langage de programmation d’Arma, le SQF, est très proche de celui du Javascript ++. Je pouvais le lire et le comprendre. Je lisais aussi le code des autres mods pour Arma II. C’est une communauté très passionnée, qui crée énormément de contenus et écrit beaucoup de tutoriaux. J’ai juste commencé à les consulter, je me suis dit que je pouvais faire pareil, et je me suis lancé.
Depuis combien de temps travaillez-vous sur « PUBG » ?
Cela fait quatre ans que le projet a débuté, et véritablement un an et demi que le développement a commencé.
Vous êtes Irlandais, le jeu est conçu en Corée du Sud. Pourquoi ?
Tout est parti d’un e-mail que m’a envoyé le charmant monsieur qui est ici [il désigne le directeur du coréen Bluehole Studio]. Il voulait faire un jeu de « battle royale » [des affrontements à grande échelle entre joueurs], il avait adoré ce que j’avais fait, il m’a présenté sa version, c’était parfait. Je suis allé les rencontrer, j’ai passé un week-end chez eux, et on s’est dit qu’on pouvait le faire. Je ne pouvais pas rêver mieux. Depuis, j’habite en Corée du Sud.
Qu’est-ce qui vous plaît tant dans les jeux de survie ?
C’est l’idée du gameplay émergent, le fait que vous racontez l’histoire que vous avez envie de raconter. J’adore ça. Nous ne vous forçons pas à jouer d’une certaine manière. Si vous voulez être sans abri dans une forêt, vous pouvez. Si vous voulez vous balader en sous-vêtements sur la carte, vous pouvez. C’est vous qui décidez. C’est ce qui manque à beaucoup de jeux, de nos jours.
Un joueur isolé durant une partie de « PUBG ». / Blue Hole Studio.
Qu’est-ce qui vous rend si sensible à l’idée d’être libre d’incarner qui l’on veut ?
J’aime simplement l’idée d’avoir un monde à explorer, qu’il n’y a pas de règle, ce côté réaliste. Toute mon histoire avec le jeu vidéo, Arma II, Arma III, Black Hawk Force, American’s Army… ils ont ces situations réalistes. Je n’explore plus autant que je ne le faisais enfant, mais DayZ m’a vraiment ouvert les yeux et inspiré. Ce genre de jeu ouvre tant de possibilités, c’est comme s’il déclenchait un torrent d’idées et libérait l’imagination.
Dans DayZ, le joueur se battait également contre des zombies. Pourquoi les avoir supprimés ?
Je voulais vraiment me concentrer sur l’affrontement entre joueurs. Quand vous vous faites tuer par un zombie, vous avez l’impression d’avoir été battu par l’ordinateur. Je voulais que le joueur ne puisse être tué que par un autre joueur. C’est la principale raison.
Lorsque le jeu a été lancé, en mars, vous aviez des objectifs de ventes ?
On se disait que 5 millions de ventes sur la première année, ce serait bien. Si vous regardez les problèmes de serveurs que l’on a eus ces dernières semaines, c’est parce qu’ils étaient conçus pour un million de joueurs simultanés, un point que nous ne pensions jamais atteindre. Jamais on n’aurait imaginé en avoir autant que Dota 2. Putain, jamais ! Et voilà que nous atteignons 2,3 millions. Du coup on fait beaucoup de bricolage [pour que les serveurs tiennent], parce que nos prévisions étaient plus modestes.
A quel moment avez-vous compris l’ampleur du succès de « PUBG » ?
Je pense que c’est quand nous avons franchi le million de joueurs simultanément connectés. Nous avons vendu le dix-millionième jeu en septembre. Je me suis dit : oh bordel. Qu’est-ce qui se passe, putain ? J’étais abasourdi.
Affiche promotionnelle de « PUBG ». / Blue Hole Studio.
A terme, souhaitez-vous créer d’autres jeux ou préférez-vous continuer à alimenter « PUBG » en contenu ?
Oh, il y a bien sûr d’autres jeux que j’aimerais créer. J’adorerais faire un jeu de survie, un qui suive ma vision. J’ai déjà quelques idées mais je ne veux pas en parler. Je veux d’abord finir PUBG.
Pensez-vous que l’on puisse comparer votre succès à celui de Minecraft ?
J’ai entendu parler de cette comparaison. Certains me comparent à Notch [le Suédois Markus Alexej Persson], ce qui pour moi est bizarre. Vous savez, il y a quelque chose de surréaliste, je voulais juste faire un bon jeu.