Clichy-sous-Bois ou la gestion de la misère
Clichy-sous-Bois ou la gestion de la misère
Par Jean-Pierre Gonguet
En Seine-Saint-Denis, plusieurs grosses copropriétés enclavées ont été englouties dans une spirale de dégradation. Abandonné par l’Etat, le maire, sans capacité financière ni ingénierie, s’est trouvé confronté à des promoteurs peu scrupuleux.
Cité du Chêne-Pointu, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le 13 novembre 2017. / LUDOVIC MARIN / AFP
Olivier Klein, maire de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), est né au Chêne-Pointu, une cité en plein cœur de sa ville, à quelques mètres de la mairie. Il a passé son enfance et son adolescence dans ce qu’il considère être « la copropriété la plus dégradée de France, avec, peut-être, celle de Grigny [Essonne]».
Cette cité est une « erreur urbanistique » estime-t-il, une méga-copropriété de 1 500 logements comme il ne s’en fait plus, dans une ville très mal desservie par les transports en commun, rapidement gangrenée par le chômage.
Les parents d’Olivier Klein ne pouvaient plus payer les charges, très élevées dans cette cité, et sont partis au début des années 1980. La cité est désormais, et depuis longtemps, sous administration judiciaire, sans que quiconque sache d’ailleurs combien d’habitants vivent là. « A Clichy, La Poste dénombre 10 000 boîtes aux lettres, mais nous savons qu’il y a au moins 15 000 foyers, évalue Olivier Klein. Entre 5 000 et 6 000 personnes sont supposées habiter au Chêne-Pointu, mais il y en a certainement bien plus. »
Bailleurs défaillants
Le Chêne-Pointu est emblématique de l’impossibilité pour un maire qui se consacre totalement à sa ville et n’a jamais brigué d’autre mandat de transformer et rebâtir sans l’aide de l’Etat. « Un maire, seul, ne peut rien faire, explique-t-il. Pas dans une ville pauvre comme Clichy, où l’on a hérité de plusieurs copropriétés allant à vau-l’eau et où nous n’avons jamais eu les fonds pour créer nos propres offices de gestion. »
Clichy-sous-Bois a en effet longtemps été dépendante de promoteurs se désintéressant de leurs biens et de bailleurs défaillants. La Forestière, l’autre grande copropriété de Clichy-sous-Bois, avec ses 500 logements construits dont 400 vendus dans les années 1970 comme « de grand standing », a elle aussi été engloutie dans » une spirale de dégradation. Les promoteurs ne payant pas les charges pour les 100 appartements qu’ils s’étaient gardés pour les louer.
La copropriété, à la lisière de Montfermeil, est quasiment devenue un ghetto. Jean-Louis Borloo, ministre délégué à la ville en 2003, la place immédiatement dans le premier plan de rénovation urbaine. Pas le Chêne-Pointu. « Clichy-sous-Bois étant pauvre, l’Etat a cherché des bailleurs acceptant de construire ici. Mais ils n’ont pas entretenu les bâtiments. Nous avons passé dix ans à gérer la misère. Dix ans à gueuler ou à faire la guerre aux marchands de sommeil, dix ans à mettre les copropriétés dans des plans de sauvegarde ou sous administration judiciaire, dix ans à courir les crédits d’études. »
« Un vrai cœur de ville »
Clichy-sous-Bois et Montfermeil ont en effet cumulé tous les handicaps. L’habitat a été pensé par une star de l’architecture, Bernard Zehrfuss, qui croyait à l’époque que l’A87 allait passer en plein centre-ville, que le métro promis arriverait bien et que le désenclavement serait rapide. Il s’est passé l’inverse : les tracés des nouvelles routes ont soigneusement évité les deux villes, le métro n’est jamais venu et les deux villes sont restées sans activités, sans centre, sans cœur : « On n’a jamais fait de la ville ici, c’est plus un dortoir que du résidentiel, soupire Olivier Klein. Nous n’avions pas les outils et c’est toujours le cas : ni capacité financière ni ingénierie. »
Le Chêne-Pointu a été placé dans le Nouveau Programme national de renouvellement urbain (NPNRU), présenté en février par le gouvernement. Clichy-sous-Bois peut enfin planifier un relogement décent pour ses habitants. « Clichy est un cas particulier à cause de la taille des copropriétés dégradées, estime Olivier Klein. Mais le problème n’est pas tant celui du logement que celui de la pauvreté, et de la pauvreté qui appelle la pauvreté. Le maire doit faire attention à tout en reconstruisant. Faire attention aux logements, certes, mais aussi à l’école, aux transports et aux commerces. Si un seul élément manque dans la reconstruction, on prend le risque de voir les mêmes phénomènes de paupérisation se reproduire. Il faut être imaginatif sur la ville même, conclut Olivier Klein, et prudent : on va déjà essayer de faire un vrai cœur de ville. »
Cet article est extrait d’un supplément « Maires bâtisseur » réalisé en partenariat avec l’Etablissement public foncier d’Ile-de-France (Epfif).