Des milliers de cadavres d'antilopes dans les steppes kazakhes en mai 2015. / REUTERS/HANDOUT

Les saïgas, antilopes d’Asie centrale facilement reconnaissables à leur museau arqué, avaient fait une apparition très médiatique en mai 2015 : près de deux cent mille cadavres avaient été recensés en quelques semaines dans les steppes du Kazakhstan, ex-république soviétique, laissant perplexes les scientifiques et spécialistes du comportement de ces mammifères. Les experts concluaient alors à une « combinaison de facteurs biologiques et écologiques » pour expliquer cette hécatombe sans précédent et simultanée dans toutes les régions du pays.

Une nouvelle étude publiée dans Science Advances, mercredi 17 janvier, vient lever une partie du voile sur cette mort mystérieuse de saïgas. Menée par un groupe pluridisciplinaire de chercheurs, elle conclut à la responsabilité d’une bactérie, normalement inoffensive, qui se serait muée en tueuse à la faveur de conditions climatiques inhabituelles, qui ont été des « déclencheurs ».

Seize échantillons d’antilopes mortes ont été prélevés sur deux sites du pays, Torgai et Tengiz. Ils ont ensuite subi une batterie de tests, dont des analyses poussées de tissus biologiques des poumons, de la rate et des ganglions. Comme le souligne Richard Kock, l’un des auteurs de l’article et professeur au Royal Veterinary College (école vétérinaire anglaise), « la publication vient confirmer les travaux préliminaires effectués en 2015 et aboutit à la même conclusion, qui est celle d’une infection bactérienne par la bacille Pasteurella multocida ». Le chercheur précise que l’étude démontre l’absence d’autres pathogènes impliqués dans la mort des saïgas, comme d’éventuels virus, champignons ou expositions toxiques particulières.

Exeunt aussi d’autres hypothèses mettant en cause la radioactivité anormalement élevée des sols et des fleuves, vingt fois supérieure à la moyenne, engendrée par des tirs d’essais nucléaires soviétiques. Ou encore les rejets d’heptyle, le carburant des fusées décollant du centre spatial de Baïkonour tout proche, qui, en cas d’échec, s’écrasent dans les steppes kazakhes et y répandent jusqu’à 600 tonnes de cette substance cancérigène.

Le climat comme « déclencheur » du phénomène

Les travaux des chercheurs apportent la preuve que l’humidité et la température anormalement élevées ont constitué des « déclencheurs » de la septicémie, l’infection bactérienne qui a décimé les troupeaux d’antilopes des steppes sèches sur un territoire grand comme l’Angleterre. Les mêmes conditions avaient été observées lors d’autres phénomènes de mortalité de masse, moins prononcés, en 1981 et en 1988. Une corrélation avait alors été faite avec l’environnement, mais l’étude est inédite dans les conclusions scientifiques qu’elle apporte sur le climat. Selon les précisions du docteur Richard Kock :

« Nous avons établi que les facteurs météorologiques exceptionnels observés sont impliqués dans le déclenchement de la septicémie aucun autre facteur comme le type de sol, la végétation, la toxicologie de l’eau ou des plantes ne semble impliqué. »

Les bactéries sont en temps normal neutralisées par la barrière immunitaire des saïgas. Une prochaine étape « nécessaire » consistera donc à étudier et à comprendre le comportement de Pasteurella multocida dans des conditions de température et d’humidité particulières, et ainsi expliquer comment cette bactérie devient un agent pathogène mortel.

Reste également à savoir si ces phénomènes anormaux sont liés au dérèglement climatique : « Notre étude ne prouve pas le lien avec le réchauffement climatique, puisque nous n’avons pas une vision assez fine de ses impacts en Asie centrale. Mais force est de constater que la tendance est à des conditions plus chaudes et plus humides, dit Richard Kock, qui ajoute : Nous nous sommes longtemps demandé pourquoi les dinosaures avaient subi une extinction de masse si rapide. Le cas des antilopes saïgas, par son ampleur et sa contemporanéité, doit pousser à la réflexion et à mieux protéger ces écosystèmes. Nous devons agir, au risque de voir ces phénomènes de mortalité de masse se reproduire. »

Classés en 2002 en « danger critique d’extinction » par l’Union internationale pour la conservation de la nature, les saïgas sont par ailleurs victimes du braconnage : les cornes des mâles sont utilisées en Chine pour des remèdes de médecine traditionnelle.