« Moi, Tonya » : la patineuse Tonya Harding entre documentaire et farce
« Moi, Tonya » : la patineuse Tonya Harding entre documentaire et farce
Par Thomas Sotinel
Craig Gillespie a choisi le registre de la comédie pour ce drame du sport.
L’histoire de Tonya Harding, maintenue aux marges du patinage artistique en raison de ses origines avant de passer pour une criminelle aux yeux du monde, ressemble à celle du Vilain Petit Canard. A ceci près que la fin du Vilain Petit Canard est l’une des seules heureuses des contes d’Andersen. La morale de l’histoire de Tonya Harding est, elle, d’un pessimisme qui aurait effrayé le plus dépressif des Danois : le monde est ainsi fait qu’on n’échappe pas à la place qu’assigne la naissance.
Athlète d’exception, certes, mais d’abord white trash, soit « rebut blanc de la société », Tonya Harding n’a jamais accédé à l’élite sportive internationale, lestée dans son envol par ses origines, son entourage, avant de devenir une réprouvée à la suite d’un crime dont la bêtise dépasse la grande violence. Il y a là le matériau d’une tragédie réaliste, d’un mélodrame, d’une critique sociale. Le réalisateur Craig Gillespie et le scénariste Steven Rogers ont préféré la comédie, le second degré, zigzaguant entre faux documentaire et farce, ne trouvant un semblant d’humanité que par la grâce de l’interprète du rôle-titre, Margot Robbie.
Un bref rappel des faits, pour les plus jeunes et ceux qui partent au soleil le temps des Jeux olympiques d’hiver : le 6 janvier 1994, dans les vestiaires d’une patinoire de Detroit, un homme tenta d’un coup de matraque de briser la jambe de Nancy Kerrigan, membre de l’équipe olympique américaine de patinage artistique. On était à quelques semaines des Jeux d’hiver de Lillehammer (Norvège). Nancy Kerrigan se remit assez vite pour remporter une médaille d’argent. Et le FBI fut assez diligent pour que l’on apprenne, avant la cérémonie d’ouverture, que le forfait avait été perpétré à l’instigation du mari d’une autre patineuse de l’équipe, Tonya Harding. Autorisée à participer à la compétition, celle-ci fut ensuite interdite à vie de patinage.
Divisions entre classes sociales
Moi, Tonya tente de remonter à la source de cette débâcle qui permit aux chaînes d’information américaines d’expérimenter le traitement frénétique d’un fait divers, six mois avant le début d’une vraie tragédie, l’affaire O.J. Simpson. Celle-ci allait mettre en mouvement les failles raciales qui divisent les Etats-Unis, le cas Tonya Harding mettait en évidence les divisions entre classes sociales. Et c’est sur ce terrain que le film de Craig Gillespie échoue.
L’image qu’il donne de l’enfance malheureuse d’une petite fille contrainte par sa mère de tout sacrifier au patinage est construite pour échapper aux clichés misérabilistes. La trajectoire qu’ont choisie réalisateur et scénariste passe par la dérision, et celle-ci s’exerce aux dépens de tous les personnages, à l’exception notable de l’héroïne. LaVona Harding (Allison Janney) est une femme d’un inépuisable égoïsme : si elle exige tous les sacrifices, c’est moins pour faire de sa fille une championne que pour devenir la mère d’une championne. On comprend bien que, pour lui échapper, la très jeune Tonya se jette dans les bras du premier venu, Jeff Gillooly (Sebastian Stan), même si celui-ci est aussi violent (mais moins malin) que la méchante femme qu’elle a quittée. Malgré ses prouesses sportives, Tonya Harding, victime de ses goûts vestimentaires et musicaux (elle est mal vêtue, faute de moyens, et patine au son du hard rock) ne parvient pas à devenir membre à part entière de l’élite de sa discipline.
Pour dessiner ces personnages qui vivent à la périphérie de Portland (Oregon) et au seuil de la pauvreté, le film recourt à de faux entretiens, qui donnent des versions contradictoires des faits. L’effet comique est assuré, surtout lorsque l’époux et son comparse, un garçon obèse nommé Shawn Eckhardt (interprété par Paul Walter Hauser), étalent leur bêtise. Quelle qu’ait été l’intention du metteur en scène et du scénariste, ce dispositif impose un lien organique entre la misère intellectuelle des agresseurs ou la cruauté de la mère (qu’Allison Janney incarne avec un indéniable panache) et leur misère matérielle.
Seul le personnage de Tonya Harding échappe à cette condescendance. D’abord parce que Margot Robbie parvient à faire affleurer les blessures intérieures de cette femme d’une force physique hors du commun. Ensuite parce que les séquences de patinage sont filmées avec une attention à l’investissement physique qui exprime, mieux que la chronique du fait divers, les efforts des patineurs en général et de Tonya Harding en particulier pour échapper aux forces qui les empêchent de quitter le sol.
MOI,TONYA - avec Margot Robbie - Bande-Annonce VOST
Durée : 02:27
Film américain de Craig Gillespie. Avec Margot Robbie, Sebastian Stan, Allison Janney (2 heures). Sur le Web : www.marsfilms.com/film/moi-tonya et www.facebook.com/MoiTonya.lefilm