A Paris, le président béninois entre mea culpa, volonté de réforme et coopération
A Paris, le président béninois entre mea culpa, volonté de réforme et coopération
Par Hermann Boko (contributeur Le Monde Afrique)
Reçu par M. Macron, Patrice Talon a déclaré avoir tiré profit de la mauvaise gouvernance passée et veut « réparer » pour que le pays renoue avec les performances économiques.
Après un premier rendez-vous manqué en octobre 2017 – les agendas des deux chefs d’Etat ne concordaient pas –, le président français, Emmanuel Macron, a finalement reçu son homologue béninois, Patrice Talon, lundi 5 mars, pour une visite de travail. C’est la première rencontre entre les deux hommes à l’Elysée depuis l’élection de M. Macron, en mai 2017.
Alors qu’il est très contesté par la société civile béninoise pour ses réformes jugées trop libérales, M. Talon est venu s’assurer de l’appui de la France pour financer son programme d’actions évalué à plus de 9 000 milliards de francs CFA (13,7 milliards d’euros) et mieux conduire ses réformes économiques et politiques. « Nous avons entrepris des réformes impopulaires. Mais c’est la seule voie de sortie de la pauvreté. C’est vrai qu’il y a quelques tensions, quelques remous, mais c’est bien le signe que tout va bien », a estimé M. Talon en conférence de presse.
« Entrer dans l’Histoire »
Depuis près de deux mois, l’administration béninoise est en grève. Les sept centrales syndicales du pays dénoncent les lois « liberticides », notamment le retrait du droit de grève aux magistrats et aux professionnels de la santé, voté en décembre 2017 par l’Assemblée nationale. Une réponse de la majorité présidentielle aux mouvements sociaux ayant secoué le pays en juin et en octobre 2017 après que le gouvernement a décidé de licencier des agents de certaines sociétés de promotion agricole et de confier à des mandataires privés la gestion du CHU de Cotonou, le plus grand centre hospitalier du Bénin, et du port autonome de la ville.
De fait, un climat de suspicion s’est installé au sein de l’opinion publique sur un supposé accaparement des richesses par une minorité. Le passé d’hommes d’affaires du chef de l’Etat béninois – il a fait fortune dans le coton – y contribue grandement. Est-ce par sincérité ou par stratégie politique ? Patrice Talon a déclaré devant la presse qu’il est aussi responsable de l’état dans lequel se trouve son pays. « La mauvaise gouvernance, l’iniquité [sic] sont autant de choses qui ont profité à une minorité, dont moi-même. Et être dans mes fonctions actuelles, avoir cette opportunité pour réparer et m’abstenir de le faire, ce serait louper une occasion d’entrer dans l’Histoire. »
M. Talon est cependant conforté par de récents classements internationaux, celui du « Doing Business » sur le climat des affaires (151e place sur 190 pays en 2018, contre 155e en 2017) et celui de Transparency International sur la perception de la corruption (85e sur 180 pays en 2017, contre 95e en 2016). Et la production du coton, principale source de recettes du pays, atteint des records : 450 000 tonnes en 2016-2017 et plus de 530 000 tonnes prévues en 2018. « C’est au moment où on voit les effets positifs dans les classements internationaux qu’il faut poursuivre ce travail de manière inlassable. Pour avoir une performance économique et performance sociale, pour que les concitoyens en voient les pleins effets, il faut poursuivre les réformes », a indiqué Emmanuel Macron.
Paris concrétise son soutien par une assurance crédit de 175 millions d’euros pour financer la construction d’un CHU de référence à Abomey-Calavi, au nord de Cotonou. L’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique) accompagne aussi la politique de « ville durable » du Bénin pour lutter contre le dérèglement climatique, financée à hauteur de 58 millions d’euros.
Tourisme mémoriel
Lors du tête-à-tête qui a duré plus d’une demi-heure, les deux chefs d’Etat se sont aussi entretenus sur la question très attendue de la restitution des biens culturels africains. M. Macron a réitéré sa promesse faite à Ouagadougou, en novembre 2017, de voir le patrimoine de plusieurs pays africains exposé et conservé en Afrique. A cette fin, il a demandé à deux personnalités, Bénédicte Savoy, professeure de l’histoire de l’art membre du Collège de France, et Felwine Sarr, écrivain et économiste sénégalais, de mener un travail de réflexion et de consultation.
La question du retour des biens culturels est très importante pour le Bénin. Le gouvernement a fait du tourisme mémoriel l’une de ses priorités. C’est d’ailleurs le Bénin qui, en juillet 2016, a pour la première fois demandé de manière formelle à la France de lui rendre les trésors pillés lors de la conquête coloniale de 1892 et exposés au musée du Quai-Branly. Sous François Hollande, le ministère des affaires étrangères s’y était opposé. Motif ? « Les biens évoqués ont été intégrés de longue date, parfois depuis plus d’un siècle, au domaine public mobilier de l’Etat français. Conformément à la législation en vigueur, ils sont soumis aux principes d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité. En conséquence, leur restitution n’est pas possible », justifiait alors le Quai d’Orsay.
« Ce qui nous intéresse, c’est de pouvoir présenter ce patrimoine qui est le nôtre. Nous le faisons non pas dans un esprit de conflit, mais de coopération avec la France », a expliqué M. Talon. M. Macron, bien que favorable à une circulation de certaines œuvres d’art d’ici six mois ou un an, a insisté sur la nécessaire mise en place d’un cadre de partenariat scientifique, muséographique et culturel. « Ce que j’ai souhaité initier dans le discours de Ouagadougou, c’est une volonté ferme de bien faire les choses, a affirmé le président français. Ce n’est pas simplement de dire qu’il faut envoyer des œuvres, parfois dans des pays qui ne sauront pas les protéger, où il va même y avoir de nouveaux trafics. Il faut en la matière avoir une vraie rigueur. »
Plus de 5 000 œuvres exposées dans les musées ou appartenant à des collections privées pourraient être concernées par cette restitution.