Chez l’artiste Ernest Dükü, tout se transforme
Chez l’artiste Ernest Dükü, tout se transforme
Par Haby Niakaté (Abidjan, correspondance)
Pour le plasticien ivoirien, qui expose une centaine d’œuvres à Abidjan, l’imaginaire contemporain est influencé par les mythes des peuples africains.
Rencontrer Ernest Dükü, c’est rencontrer son monde. Un monde entre réel et imaginaire, avec son propre langage, codé bien souvent, avec ses propres symboles, à la fois antiques et modernes. A 60 ans, le célèbre artiste plasticien ivoirien expose en solo, pour la première fois à Abidjan, du 9 mars au 12 mai, à la galerie LouiSimone Guirandou.
A quelques jours du vernissage, lorsqu’il reçoit Le Monde Afrique, l’homme est un peu tendu. Certes, en plus de vingt ans de carrière, son travail a déjà été exposé de nombreuses fois à travers le monde (près de 90 expositions au total, collectives et individuelles). Mais cette première, sur ses terres, a une saveur particulière.
Encre modifiée et coupures de journal
« Je prépare cette exposition depuis très longtemps, car j’ai toujours eu l’idée d’un retour en Côte d’Ivoire, avec une exposition majeure, qui fasse sens. Je travaille sur certaines pièces depuis trois, quatre ans, d’autres sont déjà achevées depuis sept ou huit ans mais n’ont jamais été montrées », explique l’artiste, installé la moitié du temps en France.
Ce jour-là, sur les murs immaculés de la très chic galerie, seule une quinzaine de la centaine de pièces qui constituera l’exposition est déjà installée. Son nom ? « MasKArade@Ananzè » Explorer. « Ananzè » étant l’araignée héroïne des contes du groupe akan (un important peuple installé entre la Côte d’Ivoire et le Ghana), auquel appartient l’artiste, le «@» la porte d’entrée et la « MasKarade » celle dans laquelle nous vivrions, tous, aujourd’hui, pleine de « tabous », « d’altérités complexes » et de « chaos, qu’il soit religieux, politique ou autre ».
Très schématiquement, il s’agit donc pour l’artiste de nous présenter le voyage de cette « araignée » akan dans notre monde actuel. Un monde complexe et plein de références, que nous en ayons conscience ou non, au passé.
Lorsqu’il se prête au jeu de guide d’exposition, Dükü, dreadlocks grisonnantes et voix incertaine, s’efface derrière ses œuvres. Tel un spectateur, l’ancien architecte aujourd’hui professeur à l’Ecole des beaux-arts d’Abidjan, aime à regarder les autres tenter de le comprendre. Lui, ou plutôt chacune de ses sculptures, chacun de ses dessins, réalisés le plus souvent avec des stylos à bille, de l’encre modifiée et des coupures de papier journal.
« Tout a une explication. Rien n’est fait au hasard, dit-il, un brin énigmatique. Lorsque je dessine sur du papier blanc froissé, par exemple, il y a une raison précise. Les plis créent de la profondeur, une perspective qui n’est pas construite au sens technique du terme, mais qui apparaît visuellement. On a l’impression de voir une sculpture. »
« Une histoire de notre continent »
Chez Ernest Dükü, le va-et-vient entre les époques est permanent, comme si rien ne s’était jamais perdu au fil des siècles, mais que tout avait été transformé, récupéré. L’occasion de prouver, comme il l’a souvent fait dans le passé, qu’une partie de l’imaginaire contemporain et mondialisé est influencée par les mythes et légendes des différents peuples africains, de l’Egypte à l’Afrique du Sud, en passant par la Côte d’Ivoire et le Ghana.
« Qu’ils soient akan, religieux ou rituels, ces signes content, ensemble, une histoire de notre continent sur un support papier, noir intense, chinois froissé ou mâché en sculpture. Qui pourra après cela continuer à soutenir que nous n’avons pas d’histoire écrite ? », interroge, dans le support de présentation de l’exposition, le collectionneur d’art et galeriste parisien Sitor Senghor.
Ici, c’est le lien méconnu mais évident entre la mythique Ananzé et Spiderman, le héros des studios américains Marvel, là les similitudes entre la mythologie romaine et le vaudou, ici des amulettes qui deviennent des panneaux de signalisation routière etc.
Spiritus sanctnoun@amaatawale thot est relatif, Ananzè explorer@yin yang pintadattitude, Ananzè explorer versus AMONDJOLE@code 002… A chaque tableau son titre mystérieux, son invitation au décryptage. Du charabia pour les profanes, « la porte d’entrée sur chaque œuvre » selon l’artiste, qui promet : « Une fois qu’on a compris le principe pour décrypter le sens caché d’une des œuvres, on peut ensuite décrypter plus facilement toutes les autres. » Dont acte.