Le mea culpa de Facebook ne suffira pas
Le mea culpa de Facebook ne suffira pas
Editorial. L’audition de Mark Zuckerberg par le Sénat des Etats-Unis puis la Chambre des représentants a au moins démontré une chose : l’autorégulation ne permettra pas de sécuriser les données des utilisateurs.
Le fondateur de Facebook Mark Zuckerberg, lors de son audition devant la chambre des représentants, le 11 avril à Washington. / SAUL LOEB / AFP
Editorial du « Monde ». « I’m sorry. » Voilà les trois mots qui résument le mieux les auditions de Mark Zuckerberg devant le Sénat des Etats-Unis puis face à la Chambre des représentants, les 10 et 11 avril. A 33 ans, l’âge du Christ, le fondateur de Facebook s’est livré à une expiation qui s’est bornée à de plates excuses à propos du scandale Cambridge Analytica, esquivant les questions les plus gênantes par une litanie de « Mon équipe reviendra vers vous avec plus de précisions. »
Le jeune milliardaire n’a en effet apporté que peu d’explications sur ce que le réseau social entend mettre en place pour protéger les données personnelles de ses utilisateurs. En 2016, celles de 87 millions d’entre eux ont été utilisées à leur insu par ce cabinet d’études afin de peser sur l’élection présidentielle américaine. Comme un enfant pris la main dans le sac, M. Zuckerberg s’est contenté de dire pardon en promettant qu’il ne recommencerait pas.
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Mais le patron de Facebook est-il davantage désolé qu’en 2003, lorsque, étudiant à Harvard, il avait créé Facemash, un site qui se proposait d’évaluer les étudiantes sur leur physique ? Les excuses de M. Zuckerberg sont-elles plus sincères que celles qu’il avait présentées en 2006, en lançant News Feed, une fonctionnalité qui permet à chacun de traquer les faits et gestes de ses « amis » ? Que vaut ce nouveau mea culpa comparé à celui de 2007, lorsque le réseau social avait créé Beacon, une plate-forme publicitaire qui collectait des données à partir d’achats effectués sur des sites partenaires de Facebook ?
Suspicion d’insincérité
Quid de l’acte de contrition de 2009 à propos de la tentative de s’approprier à vie les contenus postés par les utilisateurs ? Que penser des regrets exprimés en 2010 après avoir transféré leurs données à Microsoft et Yelp ? Enfin, M. Zuckerberg se sent-il plus fautif qu’en 2017, quand il était venu à résipiscence après avoir servi de vecteur à la propagande russe et de diffuseur de fausses nouvelles lors de l’élection présidentielle américaine ?
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A force, ce chapelet de regrets ne fait qu’entretenir une suspicion d’insincérité. Et si l’éternel pénitent n’était qu’un dangereux récidiviste ? M. Zuckerberg s’est fixé la « mission » de connecter la planète et de « rapprocher » les hommes. Mais, quatorze ans après la création de Facebook, force est de constater qu’il a consacré son énergie à utiliser la vie privée des gens à des fins commerciales, plus qu’à la protéger.
Un combat ni naïf ni hostile
Dire que le créateur a été dépassé par sa créature serait bien indulgent. Le comportement de Facebook n’est ni une erreur de jeunesse ni un accident de parcours. La collecte des données des utilisateurs est au cœur du modèle économique du réseau social. Le PDG a eu beau répéter au cours des auditions que Facebook ne les vend pas, ce sont bien elles qui ont permis au groupe de peser 480 milliards de dollars (390 milliards d’euros) en Bourse et à Mark Zuckerberg d’amasser une fortune de 64 milliards de dollars.
Ces auditions ont au moins démontré une chose : au regard de ce qui s’est passé ces dernières années, l’autorégulation ne permettra pas de sécuriser les données des utilisateurs. Jusqu’à présent, l’Europe était accusée d’adopter une attitude défensive en tentant de mieux contrôler les géants du Web, faute de pouvoir les concurrencer avec ses propres entreprises. Les Etats-Unis se rendent compte à présent que ce combat n’est ni naïf ni hostile à l’innovation. Il est seulement la condition sine qua non pour que celle-ci se développe en harmonie avec la démocratie.