L’avis du « Monde » – à voir

S’il fallait trouver une caractéristique résumant les qualités de The Strangers : Prey at Night, ce serait de manière paradoxale le dépouillement. C’est en effet dans la mise à nu, jusqu’au vertige, d’un genre tout à la fois épuisé et increvable, que le film de Johannes Roberts se présente comme une bonne surprise. Le slasher (sous-genre du film d’horreur où un tueur élimine méthodiquement un groupe d’individus généralement avec une arme blanche) du samedi soir s’en trouve ici réduit à une mécanique célibataire et abstraite. Or, ce qui pourrait passer pour un appauvrissement devient une façon de réfléchir à la nature même de la peur à l’origine de conventions cinématographiques qui ont la peau dure. Sans doute parce qu’elles renvoient à une sensibilité immuable et quasiment reptilienne.

Un couple et ses deux enfants prennent la route. Il est question d’emmener un des deux rejetons, la fille, adolescente difficile, en conflit avec le reste de la famille, dans un internat. Le groupe s’installe pour une nuit dans un mobile home, au cœur d’un parc isolé. Après avoir découvert que l’endroit est absolument désert, puis que leurs voisins ont été assassinés, parents et enfants sont traqués par de mystérieux assaillants masqués. Commence alors une nuit de cauchemar au cours de laquelle ils tenteront d’échapper à des tueurs dont les motivations sont absolument introuvables. C’est l’adolescente perturbée et survivante qui affrontera, dans la dernière partie du récit, des monstres à qui elle aura elle-même dérobé leur cruelle inhumanité. Processus d’une rédemption expresse qui ne débouchera que sur le vide.

Cache-cache mortel

Le film se distingue donc par le respect d’une stricte unité de temps et d’action. Quelques heures au cœur de la nuit durant lesquelles les protagonistes tentent d’échapper au sort funeste qui les attend avant, pour la plupart d’entre eux, d’être sauvagement et cruellement mis à mort. Et sans doute pourrait-on reprocher au scénario, réduit à un jeu de cache-cache mortel et à une suite d’affrontements physiques et de meurtres sauvages à l’arme blanche, de pouvoir tenir sur un confetti.

Mais c’est dans cette épure que le film contient sa vérité. The Strangers : Prey at Night est une œuvre sans secret ni psychologie. Elle ne dévoile que l’horreur de l’insignifiance et la terreur de l’identité. Et c’est sans doute cette épure même qui en accentue la dimension anxiogène et terrifiante.

Les causalités, qui sont souvent dérisoires dans ce genre de films, sont ici spectaculairement absentes

Les causalités, qui sont souvent d’ailleurs dérisoires dans ce genre de films, sont ici spectaculairement absentes. Les masques grotesques et effrayants qui couvrent le visage des assassins ne cachent rien, sinon la stricte banalité de faces juvéniles et anonymes. En arrachant son masque de poupée à l’une des assaillantes, l’héroïne du film a la surprise de sa vie : celle de justement ne ressentir aucune surprise mais de se trouver face à une adolescente qui pourrait être elle et dont on ne saura rien.

A la suppliante question « Pourquoi faites-vous cela ? » que les victimes adressent à leur bourreau, n’est répondu qu’un obtus et atroce « Pourquoi pas ? ». Tout se passe ainsi comme si le film lui-même avait l’intuition de l’inanité des causalités que pourrait rechercher un spectateur pris au piège de stimulations à la fois abjectes et jouissives, stimulations que ce type de films entend provoquer.

Bandes de terreur

En faisant quelques recherches, on apprend que The Strangers : Prey at Night serait le remake de The Strangers, réalisé par Bryan Bertino en 2008. On pourrait s’étonner de cette volonté de vouloir refaire, à seulement quelques années d’intervalle, le même film. Mais ce serait sans doute se faire des illusions sur une manière de fabriquer des films d’horreur qui ne reposent justement que sur la duplication et la programmation pure.

The Strangers : Prey at Night n’est le remake d’aucun film ou alors de toutes ces bandes de terreur produites industriellement à Hollywood depuis des décennies. Et il est bien possible que la conscience même d’être un objet reproductible à merci soit perceptible dans la volonté exprimée par le scénariste et le metteur en scène de concevoir, en toute conscience, leur projet comme le simple déploiement d’une rhétorique pure. Ce qui, paradoxalement peut-être, en augmente la capacité de frayeur.

STRANGERS PREY AT NIGHT - Bande-annonce (VOST) [au cinéma le 18 avril 2018]
Durée : 02:11

Film américain de Johannes Roberts. Avec Bailee Madison, Christina Hendricks, Martin Henderson, Emma Bellomy, Lewis Pullman (1 h 25). Sur le Web : www.paramountpictures.fr/film/strangers-prey-at-night et thestrangers2018.com