Procès de la jeune fille au pair Sophie Lionnet : dans la tête de la meurtrière présumée
Procès de la jeune fille au pair Sophie Lionnet : dans la tête de la meurtrière présumée
Le Monde.fr avec AFP
Pour la première fois, Sabrina Kouider, au cœur de l’accusation, a témoigné. Elle a reconnu avoir frappé Sophie Lionnet.
Marche en hommage à Sophie Lionnet, le 8 octobre à Londres. / NIKLAS HALLE'N / AFP
A Londres, depuis le début du procès du meurtre de la jeune fille au pair Sophie Lionnet voilà cinq semaines, la principale accusée était restée silencieuse. Assise dans le box des prévenus, elle regardait fixement devant elle, se contentant de secouer de temps en temps la tête. Mais pour la première fois, vendredi 27 avril, Sabrina Kouider a témoigné.
Le jury a découvert une femme de 35 ans qui demeure plus que jamais obsédée par ce qu’elle considère comme la vérité. Sa vérité. Pour elle, cela ne fait aucun doute : ses deux enfants ont été abusés sexuellement par son ancien compagnon, Mark Walton. Et Sophie Lionnet lui aurait servi de complice.
Tout indique pourtant que cette histoire est complètement fantaisiste : Mark Walton habitait alors aux Etats-Unis et n’a pas mis les pieds au Royaume-Uni en 2017. La maison où les abus auraient eu lieu n’existait pas.
« Je l’ai frappée sur les bras et les jambes »
Mais Mme Kouider n’en démord pas : les faits sont avérés, et les maltraitances qu’elle a infligées à Sophie Lionnet servaient à protéger ses enfants. Les mauvais traitements ont pourtant conduit à la mort de la jeune fille au pair, dont le cadavre a été retrouvé par les pompiers le 20 septembre 2017 alors qu’Ouissem Medouni, le mari de Mme Kouider, tentait d’en brûler les restes.
En larmes, la voix étranglée, Mme Kouider a reconnu avoir frappé « très fort » avec un câble électrique Sophie Lionnet, quelques jours avant sa mort. « Je l’ai frappée sur les bras et les jambes. Je criais le nom de mes enfants en même temps. »
La longue descente aux enfers de la jeune fille au pair a commencé en janvier 2016, quand elle s’est installée chez le couple français, qui habitait Wimbledon, au sud de Londres. Elle dormait dans la chambre des enfants et était très mal payée, mais la situation était relativement stable jusqu’en mai 2017. Un soir, le plus jeune des deux enfants, qui avait alors quatre ans, est rentré de l’école avec la jeune fille au pair. « Il m’a dit qu’il était allé dans une nouvelle maison, où il y avait un chien, qu’il avait un nouveau papa et une nouvelle maman et qu’ils allaient le tuer avec un pistolet », raconte Mme Kouider.
« Je l’ai mis au coin »
En entendant cela, cette dernière réagit vivement. Trois ans plus tôt, elle avait déjà été persuadée que son fils aîné avait été victime d’abus sexuels de la part de Mark Walton. Voilà que tout recommencerait. « Au début, je ne voulais pas croire [mon enfant]. Je l’ai mis au coin et je lui ai mis du piment sur les lèvres pour qu’il ne dise plus de mensonges. » Mais rapidement, Mme Kouider se convainc que son petit garçon raconte la vérité. La preuve ? Quand elle lui montre la photo de Mark Walton, celui-ci dit le reconnaître. Sept mois après le meurtre, elle n’en démord pas : « Je crois [mon fils]. »
Le calvaire de la jeune fille au pair commence alors vraiment. Mme Kouider l’emmène jusqu’à un commissariat, espérant que les policiers pourront faire des recherches qui révéleraient l’emplacement de la maison où auraient lieu les abus. Face à l’indifférence des forces de l’ordre, elle et son mari se lancent dans de longues recherches de ladite maison, en vain.
Ils font subir de longs interrogatoires à Sophie Lionnet, que le couple enregistre, espérant obtenir une pièce à conviction contre Mark Walton. On y entend Mme Kouider, hystérique, hurler sur la jeune fille au pair. Des bruits de coups sont audibles. A la fin, la jeune fille finira par tout « avouer » dans une vidéo dans laquelle on la voit, épuisée, visage émacié.
Lors de son témoignage, M. Medouni a raconté comment il s’est lui aussi persuadé de la complicité de Sophie Lionnet avec Mark Walton. Selon lui, Mme Kouider remettait sans cesse en lumière les incohérences dans les récits des enfants. Ensemble, ils ont installé des caméras de surveillance chez eux, pensant que Mark Walton s’était introduit dans la maison familiale après en avoir drogué tous les membres. Ensemble, ils ont interrogé la jeune fille au pair. Mais le procès devra aider à déterminer qui a porté le coup fatal, et si le meurtre a été prémédité.
Comment Mme Kouider en est-elle arrivée à se retrouver dans un tel état second ? Très brièvement, elle a fait référence à des abus sexuels qu’elle aurait subis de son oncle quand elle était enfant. Les témoignages de ses anciens compagnons concordent : ils décrivent une femme charmante, qui peut subitement entrer dans une rage folle. Selon M. Medouni, elle rêvait parfois de le voir avec d’autres femmes ; elle le réveillait alors en pleine nuit, furieuse et accusatrice, ne discernant plus la réalité de son imagination.