Déclarations de Nétanyahou sur le nucléaire iranien : « Une opération de communication politique »
Déclarations de Nétanyahou sur le nucléaire iranien : « Une opération de communication politique »
Propos recueillis par Marc Semo
Benjamin Hautecouverture, spécialiste des questions de sécurité internationale, estime que le premier ministre israélien n’apporte aucun élément nouveau sur une éventuelle duplicité iranienne.
En direct à la télévision israélienne, Nétanyahou accuse l’Iran de dissimuler un programme nucléaire
Durée : 02:22
Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou a affirmé lundi soir devant les télévisions israéliennes qu’Israël disposait de « preuves concluantes » sur l’existence d’un plan « secret » que l’Iran pourrait activer à tout moment pour se doter de la bombe atomique. A treize jours de la décision des Etats-Unis quant à leur éventuel retrait de l’accord signé à l’été 2015 avec Téhéran, les Européens ont signalé clairement mardi 1er mai que cette masse d’informations ne semblait pas justifier une remise en cause de l’accord.
L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) s’est dite prête à examiner toutes les informations pertinentes qui lui parviendraient sur le respect de cet accord mais a répété n’avoir « aucune indication crédible d’activités en Iran liées au développement d’un engin nucléaire après 2009 ».
Spécialiste des questions de sécurité internationale, notamment à propos de la prolifération des armes de destructions massives dont le nucléaire, et maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique, Benjamin Hautecouverture, estime que le premier ministre israélien n’apporte aucun élément nouveau sur une éventuelle duplicité iranienne.
Benyamin Nétanyahou apporte-t-il des révélations sur un programme nucléaire caché des Iraniens ?
Benjamin Hautecouverture : Si l’on regarde en détail le rapport publié en décembre 2015 par l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), le « Final Assessment on Past and Present Outstanding Issues regarding Iran’s Nuclear Programme » (le document le plus complet et à jour de l’agence de Vienne sur la question des menées nucléaires passées de l’Iran), on se rend compte que cette organisation chargée de vérifier l’application par Téhéran de l’accord du 14 juillet 2015 (JCPOA) entre les « 5 + 1 » (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne) et l’Iran, évoquait déjà la quasi-totalité de ce qu’a annoncé le premier ministre israélien lundi 30 avril.
Il s’agit donc avant tout d’une opération de communication politique sur la base d’informations connues, même si le premier ministre israélien monte en épingle quelques réelles zones d’ombre afin de dire que l’Iran a menti en premier lieu à propos de ce programme militaire nucléaire AMAD. Un projet structuré sous le contrôle du bureau « Orchid » (du nom de la rue Orchid, à Téhéran, où était située cette organisation gestionnaire du projet jusqu’à la fin 2003), sous la responsabilité effective du Dr. Mohsen Fakhrizadeh, l’un des pères du programme nucléaire iranien au cours des années 1990 et 2000.
Qu’est-ce exactement que le programme AMAD ?
AMAD est un acronyme qui, traduit en français, donne à peu près : Organisation pour la planification et les fournitures spéciales. Les Iraniens n’ont pas reconnu l’existence de ce projet, démantelé fin 2003, mais ils ont fini par reconnaître du bout des lèvres l’existence d’une organisation relativement structurée sans la nommer, dont la vocation était de conduire un programme nucléaire militaire clandestin afin d’obtenir l’arme nucléaire. En revanche, les Iraniens nient avoir continué leurs recherches nucléaires militaires après cette date. L’AIEA, dans son document d’évaluation de décembre 2015, rapporte que ce programme et la structure qui l’encadrait ont été démantelés à cette date, mais admet que le programme pourrait avoir perduré de façon déstructurée.
Par la suite, la République islamique a créé le SPND, acronyme persan pour « Organisation pour la recherche et l’innovation de défense », dont la vocation nucléaire est niée par l’Iran. Or, il se trouve que l’on y retrouve notamment Mohsen Fakhrizadeh. Cela étant, l’AIEA affirme aussi qu’il n’y a pas « d’indications crédibles » selon lesquelles l’Iran aurait cherché à développer des engins explosifs nucléaires après 2009. Et l’agence n’a pas non plus « d’indication crédible » de diversion de matière nucléaire vers un programme militaire. Ce sont les deux conclusions du rapport de décembre 2015, qui contient certaines zones d’ombre quand on s’y intéresse dans le détail.
Les accusations israéliennes sont donc infondées ?
La démonstration de Benyamin Nétanyahou se fonde avant tout sur un raisonnement par analogie, mais corrélation n’est pas raison. L’Iran, selon le premier ministre israélien, a menti en 2003 et a encore menti en 2015, même après l’entrée en vigueur du JCPOA. Le pays aurait continué de développer ses connaissances et son savoir-faire en matière nucléaire, au moins ses connaissances duales – c’est-à-dire civiles, mais qui peuvent aussi un jour servir le militaire – pour une reprise future de son programme militaire. D’après Israël, l’accord de juillet 2015 est donc fondé sur le mensonge. A défaut d’apporter des éléments vraiment nouveaux sur la duplicité iranienne, les Israéliens n’ont de cesse de rappeler – comme le font par ailleurs les Américains – les limites de ce texte, s’agissant en particulier du programme balistique du pays, que l’accord de 2015 n’aborde pas, faute d’accord avec les Iraniens (le projet d’aborder la question balistique dans un accord général avait été abandonné dès janvier 2014 par les négociateurs occidentaux).
Quelles sont ces limites ?
Même si l’accord de juillet 2015 rappelle que l’Iran a droit aux usages civils de l’énergie nucléaire, la lettre et l’esprit de l’accord se rejoignent pour interdire la relance d’un programme nucléaire militaire en Iran. Cela étant, l’accord n’empêche pas l’Iran de continuer l’enrichissement de l’uranium à un taux maximal certes inoffensif, mais qui maintient équipements et compétences. Il était difficile de l’interdire en vertu de l’article 4 du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui garantit aux Etats parties le droit aux usages civils, notamment l’enrichissement de l’uranium à des fins civiles. Mais rien n’empêcherait l’Iran, à l’issue du « deal » en 2025, ou si Téhéran dénonce l’accord plus tôt, de reprendre ses activités d’enrichissement au-delà de 20 %, seuil critique. Le fait même que Mohsen Fakhrizadeh soit toujours à la tête du SPND montre aussi que la République Islamique ne veut pas laisse filer ses compétences sur le sujet et qu’elle maintient des activités duales.
En outre, le programme balistique iranien n’est pas intégré dans le JCPOA, alors même que Téhéran continue de développer ses missiles à moyenne et longue portées, mais aussi un missile intercontinental. Ces développements rendent encore plus cruciale la question de l’après 2025, date à laquelle la plupart des clauses du JCPOA seront caduques. C’est pour cela qu’il faut, malgré les limites de cet accord qui reste un compromis, maintenir en vigueur le JCPOA tout en tentant de le compléter pour l’après 2025, en particulier sur le volet balistique ou sur le rôle de l’Iran dans les crises régionales.
Si le JCPOA est dénoncé dans dix jours [le 12 mai, Donald Trump doit se prononcer sur un éventuel retrait de l’accord signé à l’été 2015 avec Téhéran], les Iraniens auront les coudées franches pour aller encore plus vite dans leur quête du nucléaire militaire, sauf à imaginer une solution d’interdiction militaire qui serait une folie dans le contexte régional et international actuel.
Notre sélection d’articles sur l’accord sur le nucléaire iranien
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- la chronique de Sylvie Kauffmann, pour qui « sur le nucléaire iranien, le compte à rebours vers une sorte de catastrophe annoncée a commencé »
- la tribune de François Nicoullaud, ancien ambassadeur à Téhéran qui appelle à « sortir par le haut de la crise du nucléaire avec l’Iran »