Derrière l’héroïsation de Mamoudou Gassama, la presse souligne la « bonne conscience » de l’Etat
Derrière l’héroïsation de Mamoudou Gassama, la presse souligne la « bonne conscience » de l’Etat
Le jeune Malien a sauvé un enfant en escaladant les quatre étages de l’immeuble où il était accroché. Le président l’a reçu à l’Elysée et permis la régularisation de sa situation.
Emmanuel Macron et Mamoudou Gassama, lundi 28 mai, au palais de l’Elysée. / THIBAULT CAMUS / AFP
Une pluie d’hommages officiels, de sourires et de compliments. Depuis qu’il a sauvé la vie d’un enfant de 4 ans, samedi 26 mai, en escaladant à toute vitesse quatre étages d’un immeuble parisien, Mamoudou Gassama a changé de statut. Le jeune homme sans papiers de 22 ans, arrivé en France en septembre, a été propulsé héros national, et sa situation régularisée dans la foulée. « Bravo ! Vous êtes devenu un exemple, l’a félicité Emmanuel Macron, en le recevant à l’Elysée. Il est normal que la nation soit reconnaissante. »
La presse se fait largement l’écho, mardi 29 mai, de l’histoire de ce Malien, dont l’exploit filmé par des passants a été vu plusieurs millions de fois.
Le Figaro rappelle qu’il « revient de loin ». Originaire de Kayes, dans le sud-ouest du Mali, Mamoudou Gassama a quitté son pays en 2013 pour tenter de rejoindre l’Europe. Il a traversé le Burkina Faso, le Niger, puis la Libye, où il a « beaucoup souffert » : « On nous a attrapés, frappés, mais je ne me suis pas découragé », a-t-il raconté.
Depuis son arrivée en France, il avait un « travail au noir dans le bâtiment », selon son frère, et logeait dans une chambre de quinze mètres carrés dans un foyer, à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
« C’est désormais le poids du symbole qui pèse sur les épaules de Mamoudou Gassama, pas le plus simple à porter », note le quotidien conservateur, pour qui Emmanuel Macron « a décidé de faire de cet acte [le sauvetage] un outil de communication politique », axée sur « la reconstruction d’un héroïsme politique (…) pour atteindre ce qui est décrit comme impossible », selon les propres mots du président.
Son cas s’invite dans le débat tendu sur les migrants
L’histoire extraordinaire du jeune Malien a dépassé les frontières. Le Guardian s’est aussi fait l’écho du sauvetage hors norme de « Spiderman ». De son côté, le New York Times a constaté que « soudain, un acte de courage individuel et de débrouillardise s’est invité dans le débat tendu et polarisé de l’Europe sur les étrangers, les immigrants et les réfugiés ».
« Aux migrants extraordinaires, la patrie reconnaissante. Et les autres ? », s’interroge pour sa part Libération. « Derrière la dictature de l’émotion choisie, derrière la belle histoire déculpabilisante, derrière la leçon d’humanisme, que reste-t-il ? Que dalle. Cachez cette lèpre sans visage que la France ne saurait voir », s’indigne le quotidien de gauche dans son éditorial. « Seuls les plus forts obtiennent le sésame [la régularisation]. Pour les autres, vous serez confinés sur un bout de trottoir, rongés par le désespoir, l’ennui et la tristesse », conclut-il.
Dans la même veine, Slate titre sur « La régularisation de Mamoudou Gassama, bonne conscience d’un Etat qui durcit sa politique anti-migrants ». « Il semble qu’il faille se conduire en héros pour être digne de devenir français », observe le magazine en ligne. Les autres migrants, « qui quittent leur terre pour risquer les passeurs, la torture, l’escroquerie et la mort, qui se lèvent de leurs villages en dépit de mille peurs, pour venir chez nous en dépit de nous, valent-ils moins que Mamoudou Gassama ? », feint de s’interroger le site.
Le quotidien régional L’Union fustige une « récupération politique » et une « mise en scène que le jeune homme n’a pas demandée et qu’il n’aurait pas imaginée ». « Encenser le sauveteur pour revenir au plus vite au choc des idées et des postures est déplaisant, ajoute-t-il. N’oublions pas aussi, ces gestes méritants d’un bout à l’autre du pays qui passent souvent inaperçus mais procèdent de la même humanité et du même désintéressement. »
La Charente libre explique qu’avec Mamoudou Gassama, « la République tient là un nouveau héros, au même titre que le gendarme Arnaud Beltrame, égorgé il y a deux mois en sauvant une femme des griffes d’un terroriste à Trèbes ».
« Il y a des millions de Mamoudou », rappelle, quant à lui, Le Courrier picard. « Macron goûte assez, comme le faisait Sarkozy, d’explorer les solutions aux problèmes du monde avec les grands de la planète. Qu’il se saisisse enfin du dossier des migrants grâce à Mamoudou », suggère le quotidien régional.