La RDC multiplie les violations de ses engagements environnementaux
La RDC multiplie les violations de ses engagements environnementaux
Par Laurence Caramel
Après l’octroi de permis pétroliers dans un parc naturel et l’attribution de concessions forestières, associations écologiques et bailleurs de fonds s’inquiètent.
Le langage reste diplomatique, mais le message adressé est clair : à un mois de la réunion annuelle du Comité du patrimoine mondial à Bahreïn, l’Unesco « prie instamment l’Etat » congolais de faire marche arrière en annulant l’octroi de concessions pétrolières dans le parc national de la Salonga. Les documents mis en ligne lundi 28 mai sur le site de l’institution et qui seront soumis au vote des Etats membres rappellent une nouvelle fois au gouvernement de Kinshasa l’incompatibilité entre l’inscription d’un bien au patrimoine mondial et « l’exploration ou l’exploitation pétrolière ». Selon nos informations, une mise en garde serait aussi sur le point d’être directement envoyée par la direction de l’Unesco.
Début février, le président Joseph Kabila a relancé les craintes de voir ce parc, grand comme cinq fois la Belgique, ouvert à l’exploitation pétrolière en signant l’ordonnance approuvant le contrat de partage conclu en 2007 entre la République démocratique du Congo (RDC) et la joint-venture formée par la Société nationale des hydrocarbures (Sonahydroc) et la Compagnie minière du Congo (Comico) sur trois blocs situés dans la région de la Cuvette centrale. Deux de ces blocs empiètent sur le parc de la Salonga, classé en péril par l’Unesco depuis la fin des années 1990 en raison de l’intensité du braconnage et de l’impact des conflits armés.
Puis en mars, le ministre des hydrocarbures, Aimé Ngoy Mukena, a soumis au gouvernement un projet prévoyant le déclassement d’une partie du parc de la Salonga et de celui des Virunga, dans la région du Kivu, supposé abriter lui aussi d’importantes réserves de pétrole.
A qui profitent ces permis ?
Les termes du contrat avec Sonahydroc et Comico n’ont pas été rendus publics dans les soixante jours suivant leur approbation, comme l’y oblige la loi congolaise sur les hydrocarbures. L’ONG Global Witness lève aujourd’hui en partie le voile sur l’actionnariat de Comico. La société choisie par l’Etat congolais est détenue à 40 % par la compagnie Central Oil & Gas, immatriculée à Guernesey et propriété du magnat sud-africain Adonis Pouroulis. On ignore qui détient le reste du capital. Interrogés par l’ONG, les avocats de l’homme d’affaires ont refusé de révéler leur identité, affirmant qu’elle devait rester confidentielle pour des « raisons commerciales légitimes ». Aucun des actionnaires n’a été « condamné pour corruption, fraude ou aucune autre infraction financière », assurent-ils.
L’enquête menée par l’association écologiste montre cependant que des entrepreneurs comme le Portugais Idalécio de Oliveira, poursuivi dans le scandale brésilien Petrobras, ont détenu des parts de Comico au cours des dernières années. Elle relève aussi la présence de personnalités évoluant dans les milieux politiques. Ainsi de Montfort Konzi, l’ancien chef de cabinet du président du Mouvement de libération du Congo (MLC), Jean-Pierre Bemba, qui intervient au moment de la création de la société en 2006.
« Il apparaît que plusieurs entreprises enregistrées dans des paradis fiscaux ont pris des participations au moment où Comico acquérait des permis pétroliers [dans le parc de la Salonga]. Sans la divulgation de l’identité de tous les actionnaires de Comico, nous ne pouvons pas savoir à qui profitent ces permis d’exploration dans un site inscrit à l’Unesco », dénonce Jean-Luc Blakey, le directeur de campagne de Global Witness.
« Deuxième poumon de la planète »
Face au flou qui règne autour des intentions de Kinshasa, une coalition d’organisations de la société civile nationale et internationale a interpellé les bailleurs de fonds pour leur demander de conditionner leurs aides au respect des accords internationaux dont la RDC est signataire. L’environnement reste en effet l’un des secteurs globalement épargnés par la dégradation des relations entre les donateurs et le pouvoir depuis le report de l’élection présidentielle, prévue initialement fin 2016, au 23 décembre 2018. La RDC ne se prive d’ailleurs jamais à mettre en avant son statut de « deuxième poumon de la planète » pour réclamer le soutien financier de la communauté internationale.
En avril, la capitale du Congo voisin, Brazzaville, a été l’hôte d’une conférence baptisée « Valoriser les tourbières pour la population et la planète ». Les deux pays partagent la plus importante tourbière des tropiques, grande de 145 000 km2. Elle représente un précieux puits de carbone dont la préservation implique, selon eux, une compensation financière. Mais dans le même temps, Kinshasa a réattribué des concessions forestières en violation du moratoire sur les forêts adopté en 2002. Cette décision a entraîné un gel des crédits accordés par la Norvège à travers CAFI, l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale. Ce fonds créé en 2016 est doté de 200 millions d’euros et la RDC doit en être le principal bénéficiaire.
Oslo semble aussi de plus en plus s’interroger sur le programme de gestion durable des forêts que le gouvernement cherche à faire valider depuis deux ans. Le 18 avril, la troisième version de ce programme élaboré par l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique), qui en serait le maître d’œuvre pour un montant de 18 millions d’euros, a finalement été adoptée par le comité technique du Fonds national REDD, l’organe chargé de superviser la politique forestière dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. C’est en principe l’ultime étape avant un feu vert des bailleurs de fonds. Mais les doutes demeurent. La Norvège ne veut pas apparaître comme le pays qui aura permis de relancer l’exploitation industrielle des forêts congolaises alors que les conditions de bonne gouvernance sont absentes. Dans le trouble climat préélectoral, le chaud et le froid soufflés par le régime de Kinshasa ne peuvent qu’alimenter la prudence.