TV – Yann Moix et les « enfermés dehors » de Calais
TV – Yann Moix et les « enfermés dehors » de Calais
Par Camille Langlade
A voir ce soir. Entre rage et humour, l’écrivain, caméra au poing, donne à voir l’insoluble situation des migrants (sur Arte à 18 h 35).
Une image extraite du documentaire « Re-Calais », de Yann Moix. / ARTE
Six heures du matin, la procédure commence. Au lever du soleil, un groupe de migrants est délogé par la police. Deux heures plus tard, l’opération terminée, ils reprennent possession de leur repaire de misère, avant d’être expulsés, le lendemain, à la même heure. Et ainsi de suite, jour après jour.
C’est à ce ballet aux frontières de l’absurde qu’a assisté Yann Moix. Pour le sixième volet de la collection « Réfugiés »d’Arte, le chroniqueur d’« On n’est pas couché » plonge au cœur de l’énigme Calais, en donnant la parole à tous ses acteurs. Dès janvier, avant même sa diffusion, le documentaire a suscité la polémique. Dans une tribune à Libération le 21 janvier, Yann Moix avait notamment qualifié d’« actes de barbarie » le traitement des migrants. Après cette diatribe, son reportage se révèle plus nuancé.
Caméra au poing, l’écrivain filme ce territoire, ses réfugiés et ses habitants. Et le climat délétère dans lequel les gaz lacrymogènes constituent le quotidien de ces « apatrides de l’espace et du temps », comme les décrit le réalisateur. Un territoire perpétuellement sous tension. Au café du « Boulevard des emmerdeurs », Gilbert, un habitué, ne se satisfait pas du travail de la police : « Ça serait moi, je prendrais une mitraillette, et puis… », lâche-t-il.
Déconstruire les clichés
Dans un jardin public de Calais, autre son de cloche : « Jamais on a eu le moindre problème… », assure un couple. Au fil des témoignages, Yann Moix donne à voir et à entendre ce qui divise les Calaisiens, et, à travers eux, les fractures de la société française.
En mettant au jour une situation complexe, sinon insoluble, Re-Calais déconstruit les clichés associés à la ville et éclaircit le tableau, souvent bien sombre, que l’on peut s’en faire. Car sous le ciel grisâtre du Nord subsiste encore un peu de compassion. « On ne peut pas accueillir le monde entier, mais c’est pas des bêtes non plus », déclare un gendarme à la retraite. Une parole forte, brute et d’autant plus sincère qu’elle est recueillie parfois de manière improvisée.
Si le propos de Yann Moix prend souvent des accents contestataires, il n’est cependant pas dénué d’humour. Comme si l’ironie formait un rempart face à cette situation insupportable. Un état de fait que dénonce l’écrivain dans son nouveau livre, Dehors (Grasset, 368 pages, 20 euros) : une longue lettre ouverte où il fustige la politique migratoire du président de la République.
Dans la séquence finale du film, un homme énumère à haute voix le nom des migrants morts ces dernières années à Calais. Une litanie pour redonner une part d’humanité à ces « enfermés dehors ».
Re-Calais, de Yann Moix (Fr., 2018, 55 min).