Au Canada, un G6 contre 1
Au Canada, un G6 contre 1
Editorial. La façon de procéder du président américain Donald Trump, qui n’hésite pas à prendre des mesures hostiles contre ses alliés si c’est dans son intérêt, est sans précédent. Les Européens doivent en tirer les leçons.
Emmanuel Macron, Angela Merkel, Shinzo Abe et Donald Trump négocient le communiqué final du sommet du G7, à La Malbaie (Québec), le 9 juin / JESCO DENZEL / AFP
Editorial du « Monde ». Une chose est claire : le président des Etats-Unis, Donald Trump, est mieux disposé à l’égard du dictateur nord-coréen Kim Jong-un, un homme dont la dynastie a enfermé son pays et son peuple dans une folie mégalomaniaque, qu’à l’égard de ses alliés européens, japonais et canadien, dirigeants de démocraties avec lesquelles son pays est censé partager une communauté d’intérêts et de valeurs.
C’était l’état du monde, lundi 11 juin, à la veille de la rencontre Trump-Kim à Singapour sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne et au lendemain d’un désastreux sommet du G7 au Canada. Les dirigeants européens ont quitté La Malbaie, au Québec, avec le sentiment d’une fracture profonde au sein du camp occidental, provoquée par la politique protectionniste et les accès de colère d’un président américain de plus en plus irrationnel.
Cette fracture annoncée a été formalisée par un Tweet envoyé depuis Air Force One, message dans lequel Donald Trump a qualifié le premier ministre canadien, Justin Trudeau, de « faible et malhonnête ». Arrivé tard au G7, M. Trump en était parti tôt. C’est donc après son départ que M. Trudeau, devant la presse, a répété qu’il considérait la raison invoquée par Washington pour imposer des droits de douane sur les importations d’acier d’aluminium, celle d’une atteinte à leur « sécurité nationale », comme « une sorte d’insulte ». Il n’en a pas fallu plus pour que M. Trump prenne un coup de sang à bord de l’avion qui l’emmenait à Singapour et retire sa signature du communiqué final du G7, négocié de haute lutte.
Ce sommet, dont beaucoup craignaient qu’il soit davantage un G6 + 1 qu’un G7, s’est en fait transformé en G6 contre 1. La prétendue « malhonnêteté » de M. Trudeau n’était en réalité qu’un prétexte. Tout porte à croire que Donald Trump n’a jamais souhaité le succès de ce sommet. Il a d’abord fait savoir qu’il envisageait de ne pas y aller ; puis il a multiplié les déclarations provocatrices, proposant tout d’un coup de réadmettre la Russie dans ce forum sans rappeler pourquoi elle en avait été exclue (l’annexion de la Crimée) et accusant ses alliés de « piller la tirelire américaine ».
La solution pour l’UE : se renforcer
Le président américain déteste les réunions multilatérales, auxquelles il préfère les face-à-face d’homme à homme ; il méprise l’Union européenne et n’a pas cherché à le cacher, y compris à son « ami » Emmanuel Macron. Donald Trump, a expliqué dimanche sur Fox News son conseiller économique, Peter Navarro, avait « mieux à faire » que de se rendre au Canada pour signer un « communiqué socialiste ».
Cette façon de procéder est sans précédent dans la pratique diplomatique entre alliés. Les Européens doivent à présent en tirer les leçons. Sans céder aux facilités de la grandiloquence sur la fin prétendue de l’Occident, ils doivent regarder cette nouvelle réalité en face, celle d’un partenaire de premier ordre, les Etats-Unis, qui n’hésite pas à prendre des mesures hostiles à leur égard.
La seule solution pour l’UE, dans un environnement mondial de plus en plus agité, est de se renforcer. Le président Macron en est convaincu. La chancelière Merkel l’a réaffirmé dimanche soir, dans un entretien d’une heure accordé à la chaîne allemande ARD dans l’urgence de l’après-G7. Nul ne sait quel sera le format du sommet du G7 que doit accueillir la France en 2019 à Biarritz, mais une chose est impérative : que l’Europe y soit unie – et plus seulement en paroles.