La Chine, un ami bien plus rentable que Taïwan pour le Burkina
La Chine, un ami bien plus rentable que Taïwan pour le Burkina
Par Sophie Douce (contributrice Le Monde Afrique, Ouagadougou)
Ouagadougou a rompu avec Taipei pour se tourner vers Pékin. Un « choix de raison », motivé avant tout par des motifs économiques.
Plantée au milieu de l’avenue Kwame-Nkrumah, au cœur de Ouagadougou, la tour Megamonde surplombe la capitale du Burkina Faso et son ballet de deux-roues. A l’intérieur, une odeur entêtante de pneu neuf, typique des concessionnaires automobiles, emplit l’air. « Bienvenue chez Rato ! », accueille Jiang Min, assistante des ventes chez Megamonde International, l’entreprise chinoise qui commercialise les motos Rato en Afrique de l’Ouest. « Ça c’est la Winner, notre modèle le plus populaire ici », indique-t-elle en circulant entre les véhicules en exposition.
« Nous sommes arrivés dans le pays en 2014, et depuis nos ventes augmentent chaque année. Il y a une très forte demande des Burkinabés », se félicite Qinghai Xia, numéro deux de la filiale au Burkina Faso. Et pour cause : un habitant sur deux circule à moto, selon les estimations de la direction générale des transports. Rien qu’à Ouagadougou, on dénombre près de 870 000 motos.
Ce commerce florissant est investi depuis quelques années par les entreprises chinoises. En seulement quatre ans, Rato a réussi à s’imposer sur le marché local, juste derrière son concurrent Yamaha. En deux ans, l’entreprise a presque doublé son chiffre d’affaires, avec 7 milliards de francs CFA (environ 10,7 millions d’euros) en 2017. La recette : des petits prix et la fiabilité revendiquée de ses produits. « Nous nous sommes adaptés au marché local en proposant des prix accessibles. Avec Rato, vous pouvez avoir une entrée de gamme pour 345 000 francs CFA [526 euros], il faut compter le double chez Yamaha », détaille Qinghai Xia.
« Pourquoi pas un Chinatown à Ouaga ? »
Comme lui, ils seraient près de 300 ressortissants chinois à résider au Burkina. Un chiffre qui devrait probablement grossir dans les mois à venir, après la rupture des relations diplomatiques du Burkina avec Taïwan, le 24 mai, et donc la reprise de celles avec la République populaire de Chine. « Ça va faire venir de nouvelles entreprises chinoises, c’est bon pour le marché ! », se réjouit Qinghai Xia.
Motos, téléphonie mobile, électroménager, prêt-à-porter… Depuis plusieurs années, les produits « made in China », vendus à prix cassés, inondent les boutiques du Burkina – comme celles de toute la région –, et le revirement diplomatique du pays devrait marquer un tournant dans leurs relations commerciales. « De nouveaux Chinois vont s’installer ici, il va falloir développer les restaurants, les épiceries, et pourquoi pas créer un Chinatown à Ouaga ? », s’emballe l’entrepreneur, arrivé il y a un an.
Jianjun Cheng, président adjoint de l’Association amitié commerce Burkina-Chine, a lui aussi fêté l’événement : « On attendait cette nouvelle depuis vingt-cinq ans ! », lâche ce patron d’une société d’exportation de sésame et d’anacarde. Assis à son bureau, les portraits de Mao Zedong et de Xi Jinping veillant sur lui, il explique, dans un français hésitant : « L’absence de relations sino-burkinabées était un frein pour les sociétés chinoises, réticentes à s’implanter ici. Par exemple, pour les papiers, comme il n’y a pas d’ambassade de Chine ici, il fallait passer par celle de la Côte d’Ivoire, c’était compliqué. »
Pourtant, cela n’a pas empêché le commerce chinois de prospérer. « La Chine est présente dans le pays depuis près de vingt ans, ça ne date pas d’hier », rappelle Xavier Aurégan, chercheur à l’Institut français de géopolitique et spécialiste des relations sino-africaines. « Pour faire du commerce au Burkina Faso, les Chinois passaient par des sociétés de droit ivoirien, malien ou ghanéen, des pays voisins qui reconnaissent la Chine populaire, pour pouvoir ensuite investir dans le pays », explique-il.
« C’est du pragmatisme économique »
Depuis près de dix ans, le géant chinois est le premier partenaire commercial de l’Afrique. En 2016, les échanges entre la Chine et le Burkina représentaient près de 28 millions de dollars (plus de 26 milions d’euros à l’époque), contre 1,2 million avec Taïwan, selon les données de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). « La Chine a besoin de l’Afrique pour se fournir en matières premières et faire tourner ses lignes de production. Les pays africains participent à sa montée en puissance économique, financière et industrielle », analyse Xavier Aurégan.
« Un pays n’a pas d’amis, seulement des intérêts », estime Zéphirin Diabré, chef de file de l’opposition et président d’honneur du Forum d’amitié sino-burkinabée, qui militait depuis plusieurs années pour une reprise des relations avec Pékin. « Pourquoi se tourner vers la Chine ? Parce que c’est elle qui a les moyens financiers aujourd’hui, c’est du pragmatisme économique. A nous d’être intelligent maintenant et de tirer notre épingle du jeu ! »
Pour le chef de la diplomatie, Alpha Barry, de retour d’une rencontre à Pékin avec son homologue Wang Yi, le choix de la Chine va dans le « sens de l’histoire ». « Nous étions dans une situation inconfortable, complètement isolés des autres pays. Sur 54 pays africains, nous étions deux seulement [avec le Swaziland] à avoir choisi Taïwan. En outre, la Chine est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et notre position bloquait certaines décisions et projets aux niveaux régional et sous-régional, comme le financement de la force du G5 Sahel. C’est le choix de la raison. Pékin est le meilleur allié sur les plans politique, diplomatique et économique. »
En coulisses, la Chine se serait déjà engagée à reprendre l’ensemble des contrats taïwanais et devrait financer la construction d’un hôpital à Bobo-Dioulasso, ainsi que la boucle ferroviaire Cotonou-Abidjan, qui passe par Ouagadougou. Selon le ministre, un accord-cadre de coopération entre le Burkina et la Chine sera signé en septembre lors de la visite du président Roch Marc Christian Kaboré à Pékin, en marge du sommet Chine-Afrique.