A Maradi, au Niger, du foot et des sketches pour lutter contre le sida
A Maradi, au Niger, du foot et des sketches pour lutter contre le sida
Par Matteo Maillard (Maradi, Niger)
Des jeunes ont monté une troupe de théâtre pour sensibiliser sur les maladies sexuellement transmissibles. Le Mondial leur a offert une occcasion de choix.
Des enfants regardent le match Sénégal-Pologne diffusé dans un vidéoclub de quartier à Maradi, au Niger, le 19 juin 2018. / Vincent Tremeau
Une jeune fille est en larmes. Elle titube en se tenant le ventre. La nausée lui monte aux lèvres. Pas à cause du mauvais poulet braisé que lui a servi son petit ami, non, elle est sous le choc. « Il a commencé à me caresser, puis c’est allé trop loin », dit-elle à son père. Lui se fige hagard, bondit subitement de son fauteuil, ivre de colère. « Comment s’appelle-t-il ? » Le père hurle désormais. « Anaconda », lui répond sa fille. « J’ai fait le test papa. J’ai le sida. »
Une assemblée adolescente les observe ébahie, sans un mot, les pieds dans la poussière de cette rue de Maradi, dans le sud du Niger. Elle s’agrandit au fur et à mesure que la pièce progresse. Cette scène de colère familiale, beaucoup de ces jeunes l’ont déjà vue à la maison, vécue eux-mêmes parfois. Une histoire archétypale qu’une troupe de théâtre composée d’adolescents a transformée en un outil de sensibilisation pour la lutte contre le VIH, les infections sexuellement transmissibles (IST), les grossesses précoces et pour l’espacement des naissances, dans le pays au plus fort de taux de fécondité du monde avec 7,3 enfants par femme.
Telenovelas et Sénégal-Pologne
Au Niger, les sketches de rue font partie du patrimoine culturel. Un art perpétué par la tradition orale et passé aux nouvelles générations dans les cercles sociaux plus ou moins élargis que l’on appelle fada et qui comblent tous les coins de rue. « Nous aimons le théâtre dans notre pays. Il y en a partout, tout le temps, des villages aux grandes villes, des saynètes aux récits. Les gens aiment se raconter des histoires par le geste et la parole », explique Mariama Ibrahim, 17 ans, l’une des actrices de la troupe. Comme ses camarades de planches, elle a été formée à la prévention dans le cadre du projet JADES (Jeunes et adolescents en santé) à Niamey en 2017, avant de revenir à Maradi. Amatrice de drame et de comédie, elle en consomme désormais sur les écrans de télévision ou de smartphone comme tous les jeunes de son âge. Des chaînes spécialisées déversent jour et nuit les telenovelas indiennes, brésiliennes ou mexicaines que la population nigérienne dévore, se racontant avec passion les rebondissements le lendemain.
Les cinq « pairs éducateurs » et membres de la troupe de théâtre du projet Jades en train de répéter leur sketch avant le match Argentine-Croatie, à Maradi, Niger, le 21 juin 2018. / Vincent Tremeau
En ce jour épais de juin, la troupe de théâtre a décidé de profiter du Mondial et du match Sénégal-Pologne pour sensibiliser le plus de jeunes possibles. Ils sont venus en grappes assister à la victoire d’une équipe africaine que beaucoup soutiennent en frères. A la sortie de l’appentis en tôle où une télé a été installée, le public est attentif.
« Le sport est une façon idéale pour capter l’attention d’un public jeune et les rendre sensibles aux questions de santé sexuelle et reproductive, avance Matti Dan Allam Adamou, chargé de communication à l’Unicef soutenant le projet. Cela leur permet d’offrir un cours de base d’éducation sexuelle : l’importance de se protéger contre les IST, de se faire régulièrement dépister et d’utiliser des méthodes contraceptives. Il faut leur apprendre à se prémunir contre les grossesses précoces qui conduisent souvent à la déscolarisation des jeunes filles. »
Le symbole du chapeau peul
Si le taux de prévalence du VIH dans la région de Maradi est l’un des plus faibles du Niger, à 0,2 %, soit la moitié de la moyenne nationale, cette sensibilisation en est peut être l’un des facteurs. « Cela fait des années que des ONG locales font de la prévention et de la distribution de préservatifs durant les combats de lutte traditionnelle, sans doute le sport favori des Nigériens », avance Matti.
Dans les rues de Maradi, il est courant de voir de larges publicités présentant des lutteurs célèbres couverts de gris-gris. Leur slogan, « Foula amini na ! » (« le bonnet est mon compagnon » ) joue sur le symbole du chapeau peul, marque de sagesse et de protection. On retrouve le même couvre-chef stylisé en forme de préservatif sur les « kiosques Sida » disséminés à travers la ville. Avec la coupe du monde, l’occasion était trop belle pour ne pas étendre cet effort au football, deuxième sport le plus populaire du pays.
Une affiche de prévention contre le VIH figurant des lutteurs nigériens célèbres et le slogan « le chapeau est mon compagnon », à Maradi, Niger, juin 2018 / Vincent Tremeau
Floqué d’un maillot du Barça, son club préféré, Habibou Yahouza, 16 ans, a assisté à la représentation post-match d’une dizaine de minutes. S’il avait déjà entendu parler du sida, il ignorait que la contamination pouvait se faire à travers les objets de la vie quotidienne, « comme quand nos sœurs se font piquer des tresses ou quand je me fais raser la tête chez le coiffeur », dit-il. Attaquant avant-centre, il a envie de combattre la maladie comme à la guerre ou sur un terrain de foot, lui qui hésite encore entre une carrière de footballeur ou de soldat. « J’aime la compétition, mais je préfère me battre avec un ballon qu’avec une arme », se rassure-t-il à voix haute.
« Sensibiliser par l’humour »
Ce soir, la troupe joue à nouveau son sketch à l’occasion du match Croatie-Argentine. Appuyé sur leurs scooters devant le VOX, cinéma en plein air, les cinq acteurs répètent en sifflant. Mamane Gladima, 20 ans, est le plus vieux de la bande mais aussi le plus cabotin. Bon élève, il est devenu « pair éducateur » pour partager son expérience acquise auprès de ses nombreuses copines. Avec Angèle, son ex, il en a fait des bêtises. « Je ne me protégeais pas ! Puis on m’a expliqué comment pouvait se transmettre le VIH. J’ai eu si peur que je suis allé immédiatement me faire dépister. » Il a retenu la leçon. « J’ai commencé à recadrer mes camarades qui ne se protégeaient pas, raconte-t-il. Beaucoup pensent qu’avec les antirétroviraux, le sida n’est plus un problème. Mais les engueuler ne fonctionne pas. Je me suis dit qu’il serait plus efficace de les sensibiliser par l’humour. »
A la mi-temps du match, la troupe se glisse devant l’écran rediffusant les actions de la première période. On retrouve le père en colère qui déboule dans un bar pour attraper par le collet « Anaconda », le jeune qui a mis enceinte sa fille et lui a transmis le VIH. Les scènes sont parfois tendues, parfois burlesques afin d’emporter l’adhésion du public. « Chope-le ! », crie un adolescent parmi la soixantaine de spectateurs. « C’est lui le fautif ! », embraie un second. Sifflements enjoués et applaudissements se répondent dans une atmosphère bon enfant malgré la gravité du sujet.
Après un 3-0, Abdoul Moumouni, 18 ans, maillot argentin de Messi sur le dos, dodeline dans la déception. Les « pairs éducateurs » le rattrapent. On discute pour lui remonter le moral : « Ce n’est qu’un match, alors que la santé, c’est ta vie ! » Il acquiesce, malicieux. « Je n’ai pas de problème avec le préservatif, mais je ne veux pas que les parents sachent. Il est mieux de ne pas coucher avant le mariage. Alors si je dois en acheter, je change de quartier pour que personne ne me voie. » Dans un pays où le sexe est tabou et le taux d’acceptation de la contraception n’atteint que 40 %, il reste encore de nombreux efforts à fournir pour protéger les populations. Mais Mariama, Mamane et leurs camarades ne doutent pas qu’ils y arriveront, « un préservatif à la fois ».