Tour de France 2018 : deux doigts de Sky, et Bardet voit flou
Tour de France 2018 : deux doigts de Sky, et Bardet voit flou
L’équipe Sky a assommé le Tour pour la première arrivée en altitude, à La Rosière, Geraint Thomas prenant le maillot jaune devant Christopher Froome. Lutte intestine à venir, loin devant Romain Bardet. Nos trois leçons de l’étape.
La grande bagarre pour le maillot jaune a vraiment commencé dans l’ascension vers La Rosière (Savoie) et pourrait se circonscrire à l’équipe Sky : Geraint Thomas s’impose en reprenant le pauvre Mikel Nieve, échappé matinal, dans le dernier kilomètre. Tom Dumoulin, à l’offensive, finit à 20 secondes avec Christopher Froome. Romain Bardet est distancé mais pas abattu, et Pierre Latour et Julian Alaphilippe restent, respectivement, en blanc et à pois. C’est de chez eux que Mark Cavendish et Marcel Kittel, hors délais à La Rosière, regarderont la guerre chez Sky.
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Il n’y a que la Sky qui puisse battre la Sky
Geraint Thomas : « Bon alors, je le garde jusqu’à Paris ou pas ? » / MARCO BERTORELLO / AFP
Voici le refrain des prochains jours : qui est le n°1 de l’équipe Sky entre Geraint Thomas et Chris Froome ? Pour l’heure, le premier cité est premier au classement général, et le second second. Une minute vingt-cinq séparent les deux hommes après la 11e étape, au bout de laquelle Thomas, vainqueur en solo à la Rosière, a pris 26 secondes à Froome.
On se croirait revenu en 2012 chez les Sky, lorsque Froome, n°2 officiel, semblait plus en jambes que Wiggins, le n°1. A l’époque, Froome avait dû rentrer à la niche. Que va-t-il se passer cette année ? Thomas peut-il vraiment commettre le crime de lèse-majesté ? Mais s’il est plus fort que Froome, peut-il tolérer de se mettre à son service ? Mercredi, l’équipe Sky a plié la course en même temps qu’elle lui a donné un nouvel intérêt : les Britanniques ont tué la concurrence dans les Alpes ; vont-ils désormais s’entre-tuer ?
« Froome est évidemment le leader de l’équipe », tempère Geraint Thomas, rappelant que son coéquipier a déjà remporté six grands Tours, alors que lui-même n’est pas sûr de tenir le coup en troisième semaine. « Ce n’est pas un plan com’à la con » (« some PR bullshit »), assure-t-il : « Si je peux finir sur le podium à Paris, ce sera formidable, mais le but est de gagner le Tour de France, et pour cela, Chris Froome reste notre meilleure carte. Je ne vais pas faire exprès de perdre du temps pour qu’il reprenne les devants. Mais il faut être réaliste, pour moi, trois semaines, c’est une inconnue. »
Thomas tient un discours relativement clair, mais on n’est pas obligé de le croire. Nicolas Portal, lui, continue de ne pas vouloir trancher publiquement entre ses deux flying Brits. « On a deux leaders, et il n’y a pas à faire un choix entre l’un ou l’autre, dit le directeur sportif de la Sky. On a “Froomey” qui est absolument le numéro un, et “G” qu’on a vraiment envie de pousser jusqu’au bout. » Mais encore ? « Je sais que c’est compliqué à comprendre pour la plupart des gens, mais on soutient Chris à 100 %, et on a envie de soutenir Geraint aussi. A quel moment on va soutenir l’un plus que l’autre, ça, ce sont nos cartes. »
Pour son propre confort, Portal aura peut-être intérêt à les dévoiler sans trop tarder. Mercredi à l’arrivée de l’étape, le Français semblait au bord du craquage mental, lorsque, après avoir répondu pendant cinq minutes en français à la question – qu’on lui assène déjà depuis plusieurs jours –, un journaliste anglais a tendu son micro : « Is Froome number one ? »
Bardet peut aussi se tromper
Romain Bardet : « Bon alors, j’y vais ou j’y vais pas ? » / JEFF PACHOUD / AFP
Romain Bardet a souvent été présenté, dans sa carrière, comme un coureur tactiquement très fin. Cela n’a pas été le cas ce mercredi, comme il l’a admis, et la dépense désordonnée de son énergie lui coûte cher : 39 secondes perdues sur Christopher Froome qui ne semblait pas forcément plus fort que lui. A 3,8 kilomètres de l’arrivée, le Britannique a suivi l’attaque de l’Irlandais Dan Martin, qui se replace au classement général par la même occasion. Pas Romain Bardet, qui tentait de récupérer de trois attaques successives et s’était placé en queue de groupe. La lucidité de son analyse à l’arrivée, après avoir repris son souffle, tranchait avec le brouillon de sa stratégie du jour :
« Je suis déçu parce que je fais une grosse erreur, je ne suis pas attentif quand Dan Martin part. Il y a ensuite un peu trop de marquage derrière. Je n’étais pas dans le tempo aujourd’hui, pas du tout dans le tempo de mes attaques. Je pense que j’avais de bonnes jambes mais j’attaque à contretemps, je n’ai pas une très bonne stratégie. Les occasions passent… mais Geraint Thomas est très fort. J’attends beaucoup de ce triptyque (de cols) demain, de la fatigue qui va s’installer. Mais si je veux espérer quelque chose sur ce Tour de France, il va falloir courir beaucoup plus juste que ça. »
Si la course pour le maillot jaune semble d’ores et déjà désespérée, beaucoup de prétendants au podium ont perdu pied ce mercredi : Alejandro Valverde, Jakob Fuglsang et Adam Yates, notamment. Une minute et demie sépare Tom Dumoulin, troisième, de Dan Martin, 10e.
Le directeur sportif de Romain Bardet, Julien Jurdie trouve le bilan de la journée « intéressant » et pointe le nombre d’adversaires distancés, ce qui semble indiquer qu’AG2R saurait parfaitement se contenter d’un troisième podium consécutif à Paris : « J’espère que demain, dans l’Alpe d’Huez, avec des pourcentages beaucoup plus difficiles, ses jambes seront du même niveau qu’aujourd’hui, parce que les jambes étaient bonnes. »
Tom Dumoulin jouait à domicile
Tom Dumoulin, tout schuss. / JEFF PACHOUD / AFP
On a compris pourquoi les Néerlandais étaient aussi nombreux l’hiver dans les Alpes : c’est pour mieux connaître les lieux l’été, quand ils reviennent à vélo. L’exemple de Tom Dumoulin est parlant : le vainqueur du Tour d’Italie 2017 a attaqué en bas de la descente du Cormet de Roselend, à 21 kilomètres de l’arrivée. Il a tenu le choc dans la montée de la Rosière, seulement devancé par Geraint Thomas qui l’a attaqué pour la victoire d’étape dans le dernier kilomètre.
Une bonne opération au classement général mais pas seulement :
« J’ai appris à skier dans ce village quand j’étais petit. Mon oncle louait une grande maison et nous venions avec toute la famille. C’est lui qui m’a appris à skier. Il est mort au printemps, comme la sœur de mon père. Aujourd’hui je voulais être bon pour eux. J’espère que je les ai rendus fiers. C’était très spécial pour moi d’arriver ici aujourd’hui. »
Pour autant, l’attaque était selon lui improvisée, et favorisée par la présence de Sören Kragh Andersen, « un fou dans les descentes », dans le premier peloton. Dumoulin a démontré sa force et refait le retard subi dans son incident mécanique de Mûr-de-Bretagne (Côtes-d’Armor), en première semaine. A l’arrivée, il refusait de se fixer un objectif, pas même le podium : « Je fais de mon mieux. Je le payerai peut-être demain mais au moins, j’ai fait ça aujourd’hui et j’en suis très heureux. »
Du côté de chez Sky, on ne semble pas considérer comme un danger majeur celui qui a, fin mai, pris la deuxième place du Tour d’Italie derrière Christopher Froome. « Dumoulin a déjà fait une grosse année, soulignait Geraint Thomas. “Froomey” a déjà fait plusieurs fois deux Grands tours d’affilée, je ne suis pas sûr que ce soit le cas de Dumoulin. » De fait, le Néerlandais skieur-cycliste n’a jamais terminé deux Grands tours d’affilée.