Dama, le chanteur qui veut bousculer la scène politique malgache
Dama, le chanteur qui veut bousculer la scène politique malgache
Par Laure Verneau (contributrice Le Monde Afrique, Antananarivo)
Leader du groupe Mahaleo, l’artiste est candidat à l’élection présidentielle, à laquelle concourent l’actuel chef de l’Etat et deux de ses prédécesseurs.
Zafimahaleo Rasolofondraosolo, alias Dama, au Forum économique international de Madagascar, les 17 et 18 août 2018 à Antananarivo. / Dama / Facebook
« Manao ahoana ! » (« Bonjour ! ») Quand il dévale les rues d’Antananarivo, Zafimahaleo Rasolofondraosolo est interpellé par des passants enthousiastes. Non pas comme une rock star à qui l’on réclame un autographe, mais plutôt comme un membre de la famille que l’on n’a pas vu depuis un moment. Car avec ses chansons, « Dama » (son nom de scène) fait partie du quotidien des Malgaches depuis plus de quarante ans. Vendredi 10 août, le chanteur, porté par un petit parti politique, Manajary Vahoaka, a déposé auprès de la Haute Cour constitutionnelle son dossier de candidature à l’élection présidentielle prévue le 7 novembre.
« Quand on voit des hommes se battre avec des chiens dans des bacs à ordures, on se dit qu’on ne peut pas rester là sans rien faire. On ne voyait pas ça dans les années 1970, lâche-t-il de sa voix grave et rugueuse. Je veux redonner de l’espoir à mon pays. Le mot “pauvreté “, on l’utilise comme s’il tombait du ciel. On dit souvent : “Il faut lutter contre la pauvreté”. Mais non ! La pauvreté est le produit d’un système qui marginalise. C’est le système de gouvernance qu’il faut changer. »
Derrière l’artiste, le sociologue de formation n’est jamais loin. Le projet de Dama est de décentraliser le budget de l’Etat et de recentrer son organisation autour des fokontany (sorte de mairie de quartier) et des fokonolona (groupe d’habitants), pour restaurer la confiance de la population dans les institutions. En somme, une gouvernance de proximité dans un pays à 80 % rural.
Il prône la décroissance
« Je me réclame de la philosophie du “Valimbabena” », dit Dama : un concept que l’on pourrait traduire par « rendre au dos qui a porté ». « Cela signifie honorer ses aïeux, car ils nous ont tout donné. Je voudrais élargir ce principe à la Terre qui nous a nourris, et au pays. » Bercé par une enfance dans la forêt de Marolambo, sur la côte est de Madagascar, Dama prône la décroissance et le respect de l’environnement.
Plus tôt cette année, une pétition réunissant près de 50 000 signatures a réclamé sa candidature. À 64 ans, Dama a déjà été élu deux fois député, en 1992 et 1996, comme indépendant. Cette première participation à une élection présidentielle n’arrive-t-elle pas trop tard ? « En 2013, le contexte politique était trop troublé [après quatre années dites de transition]. J’ai bien observé tous les soubresauts de mon pays. Je me suis senti prêt cette année », confie-t-il en rejoignant de son pas élastique son quartier général, où une dizaine de personnes, des proches pour la plupart, travaillent à sa candidature. Cette maison, juchée sur les hauteurs de la capitale, loin de l’effervescence du centre-ville, est un repaire de choix pour celui qui se définit comme « un observateur de la société malgache ».
La campagne n’a pas encore commencé. Mais depuis le mois de mai, Dama sillonne le pays en voiture à la rencontre des Malgaches « pour les écouter ». La taille de l’île, comparable à la France, est un défi pour les petits candidats, qui ont peu de moyens. « Mais Dama est très soutenu, assure son entourage, en particulier par la diaspora malgache en France. »
Financement participatif
Pour Dama, tout a commencé en 1972 à Antsirabe, pendant les grèves de lycéens qui protestaient contre le directoire militaire de Philibert Tsiranana et la présence française persistante malgré l’indépendance déclarée en 1960. « On s’élevait contre les programmes d’enseignement rédigés en français, explique Dama. C’était surtout la revendication de notre identité malgache. » De cette période date son engagement artistique et politique. Avec ses compères Dadah, Bekoto, Fafah, Nono, Charles et Raoul, ils forment le groupe Mahaleo, qui accompagnera musicalement les manifestations. « C’était un espace de création artistique incroyable », se rappelle-t-il.
Depuis, Dama et Mahaleo n’ont cessé de chanter l’amour, la mort, la contestation ou encore la pauvreté. « Ma force, c’est d’être capable de parler du quotidien de la population à travers de belles histoires », assure-t-il. Ses morceaux sont un savant mélange de musique traditionnelle des hauts plateaux et de folk américain des années 1960-1970.
Si Dama fait office d’outsider, avec très peu de moyens – il ne révèle pas le nom de ses donateurs mais annonce le lancement d’un crowdfunding (financement participatif) dans les prochains jours –, il croit en sa bonne étoile. « C’est un bon candidat, avec un bon projet, abonde la chercheuse en sciences politiques Ketakandriana Rafitoson. Mais il est en retard par rapport aux gros candidats en termes de couverture nationale. J’estime qu’il a encore ses chances, à condition qu’il soit innovant dans son approche du grand public. »
Entre enracinement et ouverture, Dama essaie de tracer une troisième voie pour changer l’avenir de Madagascar. La tâche s’annonce quasi impossible face à une flopée d’autres candidats, parmi lesquels deux anciens présidents, Marc Ravalomanana (2002-2009) et Andry Rajoelina (2009-2014), et le chef de l’Etat sortant, Hery Rajaonarimampianina.