Thomas Bach, le président du CIO, le 20 juillet 2018. / DENIS BALIBOUSE / REUTERS

Après avoir fait les yeux doux au monde des compétitions de jeux vidéo depuis un an, le monde de l’olympisme rappelle qu’il reste maître des cartes. Dans un entretien avec l’agence de presse Associated Press, le président du CIO, Thomas Bach, a exprimé lundi 3 septembre son scepticisme quant à la possible intégration de certaines disciplines e-sportives aux JO :

« Nous ne pouvons avoir au programme olympique un jeu qui promeut la violence ou la discrimination. Ce qu’on appelle les jeux de tuerie [killer games]. De notre point de vue, ils sont contraires aux valeurs olympiques et ne peuvent donc pas être acceptés. »

L’affirmation, relativement vague mais très commentée, a pris de surprise de nombreux observateurs, pour qui l’intégration de l’e-sport était en bonne voie, et le thème de la violence des jeux vidéo une résurgence des fantasmes des années 1990.

Cette prise de distance fait suite à la tuerie de Jacksonville en Floride. Dans la nuit de dimanche 26 à lundi 27 août, un homme a ouvert le feu sur des participants à un tournoi de jeu vidéo de football américain, faisant deux morts et onze blessés, avant de se suicider. L’auteur présumé, David Katz, figurait lui-même parmi les inscrits à ce championnat. Les organisateurs des jeux asiatiques, les premiers de l’histoire où les compétitions de jeux vidéo sont devenus médaillables, ont exprimé à cette occasion leurs condoléances.

Certaines disciplines du monde de l’e-sport tournent autour de jeux de tir compétitifs, comme Counter-Strike, Call of Duty, Rainbow Six Siege, ou dans un registre moins réaliste, Overwatch. Les déclarations de Thomas Bach semblent définitivement leur fermer la porte. La question des jeux de combat à la Street Fighter V avec leur système de jauge de vie reste en suspens. Thomas Bach déclare ainsi :

« Bien sûr, chaque sport de combat a ses origines dans des combats réels entre gens, mais le sport est leur expression civilisée (…) Si vous avez des e-games [sic] où le but est de tuer, alors ils ne sont pas compatibles avec nos valeurs olympiques. »

Souci de terminologie pour France e-Sport

Interrogé par Le Monde, le président de l’association France e-Sport, Stéphan Euthine, estime que ces déclarations illustrent le travail qui reste à mener pour rapprocher les deux mondes. « On a un petit regret sur les éléments de langage. “E-games” et “killer games” sont des termes qui n’existent pas. Il y a une pédagogie à faire, on sait qu’il faut qu’on apprenne à se connaître, mais ça ne remet pas en question les avancées. » Sur le fond, il n’existe toutefois pas de désaccord majeur, même si Stéphan Euthine aurait aimer davantage de détails :

« La violence, c’est très subjectif. Nous avons un organisme d’autorégulation pour cela. Thomas Bach aurait pu préciser qu’il ne voulait pas de jeux estampillés PEGI 16 ou 18. Ce qui aurait été parfaitement compréhensible, il y a des valeurs à respecter. »

A cet égard, la ligne rouge tracée par Thomas Bach ne choque pas le président de France e-Sport, qu’il s’agisse de l’exclusion des jeux de tir, voire de certains jeux de combat. « Il y aura des complications sur certains jeux comme il y en a pour certains sports de combat, comme le MMA, qui ne sera jamais aux JO », resitue-t-il.

Deux médailles d’or pour la Chine

Les déclarations de Thomas Bach recadrent mais ne contredisent pas les récentes avancées du dossier de l’intégration de l’e-sport aux JO. Dès l’été 2017, le CIO et le comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024 avaient entrouvert la porte à une reconnaissance. Les sports électroniques de compétition « pourraient être considérés comme une activité sportive », avait alors déclaré l’institution sise à Lausanne. Leur présence durant l’olympiade parisienne, hors programme, est actuellement à l’étude. Avec, en toile de fond, un objectif : rajeunir l’audience d’un événement sportif au public vieillissant et se développer en Asie.

Cette déclaration survient alors que l’e-sport a figuré pour la première fois comme sport de démonstration aux Jeux asiatiques de 2018, qui se sont déroulés à Djakarta et Palembang, en Indonésie du 25 août au 1er septembre. Six compétitions ont été tenues sur six jeux différents – trois de stratégie-conquête du territoire (League of Legends, Arena of Valor, Starcraft II), deux de cartes (Hearthstone et Clash Royale), et un de football (Pro Evolution Soccer). Aucun de ces jeux ne mettait en scène d’arme à feu ni de violence. Ces six titres sont aujourd’hui en pole position pour rejoindre le programme officiel des Jeux asiatiques 2022, qui se déroulera en Chine.

La Chine, qui a remporté le tournoi Arena of Valor lors de ces Jeux asiatiques 2018, est devenue officiellement la première nation médaillée de jeux vidéo dans le cadre d’une compétition affiliée au CIO. L’empire du Milieu a par ailleurs terminé premier au classement des médailles avec deux breloques dorées, grâce à sa victoire dans l’épreuve phare, League of Legends. L’Indonésie (Clash Royale), Hongkong (Hearthstone), la Corée du Sud (Star Craft II) et le Japon (Pro Evolution Soccer) ont remporté les autres médailles d’or en jeu.