En Italie, le maire « promigrants » de la ville symbole de Riace arrêté
En Italie, le maire « promigrants » de la ville symbole de Riace arrêté
Par Margherita Nasi, Jérôme Gautheret (Rome, correspondant)
Domenico Lucano, sympathisant communiste de 60 ans, est une des « bêtes noires » du ministre de l’intérieur italien d’extrême droite Matteo Salvini.
Le maire de Riace Domenico Lucano dans son bureau en 2011. / MARIO LAPORTA / AFP
Difficile d’imaginer symbole plus parfait du virage opéré par l’Italie, ces derniers mois, sur la question migratoire. Lundi 1er octobre, près de cinq ans jour pour jour après le terrible naufrage au large de Lampedusa – 366 morts – qui avait poussé le gouvernement Letta à mettre sur pied l’opération « Mare Nostrum » (visant à secourir les migrants en mer), le maire de la petite ville de Riace (Calabre), Domenico (dit « Mimmo ») Lucano, a été arrêté, puis placé aux arrêts domiciliaires.
« Attendons ce que diront les “droits-de-l’hommiste” », a aussitôt claironné le ministre de l’intérieur, Matteo Salvini (Ligue, extrême droite), sur les réseaux sociaux, se félicitant de l’arrestation d’un élu qu’il avait traité de « zéro » dès son arrivée au pouvoir, et qui passait pour une de ses bêtes noires.
Le maire est soupçonné d’aide à l’immigration clandestine et d’irrégularités dans l’octroi des financements pour le ramassage des ordures de son village. Il est également accusé d’avoir organisé des mariages blancs entre des habitants de Riace et des migrants pour leur obtenir un titre de séjour. Une conversation interceptée par les magistrats, dans laquelle l’édile proposait de marier « en une journée » une Nigériane déboutée de sa demande d’asile, semble être l’élément le plus accablant, même si, à l’heure actuelle, nul ne sait si cette proposition a été suivie d’effet.
Mais pour le reste, les charges semblent particulièrement minces au regard de l’ampleur des enquêtes lancées contre lui ces derniers mois. Ainsi, les magistrats locaux ont écarté toute malversation ou escroquerie de grande ampleur, pointant tout au plus quelques maladresses dans la gestion au quotidien de Riace.
Cible du gouvernement
De fait, ce sympathisant communiste âgé de 60 ans représente tout ce qu’exècre Matteo Salvini. Elu en 2004 à la tête de cette petite ville de moins de 2 000 habitants, ravagée par la désertification et le marasme économique, Mimmo Lucano avait impulsé une politique d’accueil qui avait eu pour effet de revivifier la ville. Aujourd’hui, Riace compte plus de 600 ressortissants étrangers parmi ses résidents. Et son maire est mondialement connu : en 2016, le magazine américain Fortune l’avait consacré comme un des 50 dirigeants les plus importants de la planète.
Le Monde s’était rendu, en août, dans le petit bourg calabrais : Domenico Lucano faisait une grève de la faim pour protester contre la décision du ministère de l’intérieur de couper les fonds à son village. Il ne pouvait ignorer qu’il était devenu une cible prioritaire du gouvernement.
Autour de lui, la résistance s’organisait. La place principale s’était transformée en tribune politique, et l’auteur de « Gomorra », Roberto Saviano, avait fait le voyage pour le soutenir. Le président de la région Calabre, Mario Oliverio (Parti démocrate), évoquait déjà une « volonté politique d’étouffer le modèle Riace, qui contredit la ligne xénophobe du gouvernement ».
Le destin d’un village bouleversé
Car, depuis l’arrivée, en 1988, de 300 réfugiés kurdes sur les plages calabraises, le petit bourg avait mis en place un modèle d’intégration original, dans lequel les migrants comblent des vides créés par l’exode rural, et relancent l’artisanat traditionnel (couture, céramiques, verrerie…).
Elu à trois reprises, celui que ses partisans surnomment affectueusement « Mimmo il Curdo » (Mimmo le Kurde) ou « Lucano l’Afgano » (Lucano l’Afghan) n’a jamais reculé devant les provocations. Par le passé, pour permettre aux migrants de faire leurs courses en attendant le déblocage des aides, il avait fait imprimer des billets à l’effigie de Che Guevara, de Peppino Impastato, un journaliste tué par la Mafia, ou encore d’Antonio Gramsci, un philosophe et théoricien du communisme.
Ce combat a bouleversé le destin du village, qui a vu son école et ses bars rouvrir ; il a tout aussi sûrement chamboulé la vie personnelle de cet ex-professeur de chimie, qui vit désormais en couple avec une réfugiée. « Ce projet, c’est comme être amoureux. Il y a des moments de solitude, d’amertume, mais il faut s’accrocher, parce que c’est magique », confiait-il en août. Les partisans de Mimmo Lucano ont annoncé une grande manifestation de soutien, à Riace, samedi.