« Radiant », ou les incroyables aventures d’un dessinateur français au pays du manga
« Radiant », ou les incroyables aventures d’un dessinateur français au pays du manga
Par Pauline Croquet
Pour la première fois, un manga français va être adapté en série animée japonaise. A la plus pure tradition du manga d’aventures et d’humour, Tony Valente a su ajouter une réflexion sur la xénophobie.
C’est « une aventure de foufou » qui commence à Toulouse, passe par Roubaix et se poursuit à Tokyo. Celle de Tony Valente, premier dessinateur de manga français à obtenir son dessin animé japonais, une marque de prestige. Celle de Radiant et de son héros, Seth, un jeune garçon issu de la caste des sorciers, communauté rejetée bien qu’elle sauve des vies humaines en combattant les Némésis, des créatures tombées du ciel qui tuent et contaminent.
A compter de samedi 6 octobre, 21 épisodes de Radiant seront diffusés au Japon sur la chaîne publique japonaise NHK à 17 h 35, un créneau de grande écoute prisé des enfants. En France – et en attendant l’achat par une chaîne de télévision –, les épisodes seront proposés en ligne dans la foulée sur les plates-formes de VOD Crunchyroll et ADN.
Radiant Animé 2018 Trailer 3 VOSTFR HD
Durée : 02:12
Biberonné à « Lanfeust de Troy » et « Dragon Ball »
L’auteur lui-même ne voulait pas y croire au début, l’opération étant inédite. Et aussi parce que c’est comme cela que fonctionne Tony Valente : « Quand j’ai commencé Radiant, je l’ai fait en me disant que ça ne marcherait pas puisque de nombreux mangas français s’étaient pété la gueule. »
Le Toulousain de 34 ans, aujourd’hui expatrié au Canada, portait en germe depuis longtemps l’histoire de Seth. Biberonné à Astérix, Lanfeust de Troy, Dragon Ball et Ranma ½, Tony Valente a toujours voulu être dessinateur de BD, encouragé par ses parents issus d’un milieu très modeste (manutentionnaire et cordonnier). « De toutes les façons, le bas du bas on y était, et ce n’était pas grave de retomber dedans si jamais je ne pouvais pas faire ce que je voulais », expliquait en mai l’auteur à Franceinfo.
Travaillant d’arrache-pied sur ses planches après le bac, il est recruté comme auteur de BD franco-belge chez l’éditeur Delcourt et publie son premier album, Les Quatre Princes de Ganahan, à 20 ans. Le succès n’est pas vraiment au rendez-vous, mais le dessinateur persévère et parvient même à travailler avec l’une de ses idoles, Didier Tarquin, le père de Lanfeust. Il ne se mettra que sur le tard au manga en découvrant Naruto et One Piece, des shônen nekketsu iconiques – mangas d’action et d’aventure prônant des valeurs de courage et de dépassement de soi –, qui lui « mettent une claque ».
Tony Valente lors d’une séance de dédicaces à Japan Expo sur le stand de « Radiant ». / ANAÏS VACHEZ / ANKAMA
Grosse « salade » de références
Peu avant que sa fille naisse, frustré par les projets sur lesquels il travaille, Tony Valente décide de coucher sur papier Radiant, et de le proposer à des éditeurs qu’il apprécie. En 2013, très peu de maisons d’édition produisent du manga français, plus coûteux et risqué que l’achat de licences japonaises. Plusieurs lui opposent un refus. C’est Ankama, éditeur et studio d’animation roubaisien, qui, fort du succès de sa série Dofus, le signe. A un rythme effréné, Tony Valente livre au moins trois tomes par an, s’attelant à la fois au scénario, au dessin et à la colorisation.
« On pensait partir pour trois, quatre tomes comme à notre habitude, nous en sommes au dixième ! », lance Elise Storm, l’éditrice française de Radiant.
« Au premier coup d’œil, on a su que cette série sortait du commun et qu’elle allait marcher. Elle rassemble à la fois les codes du manga shônen japonais, l’humour européen et du fond dans son propos. »
Pour expliquer sa recette, Tony Valente parle volontiers de « faire une salade avec tout ce qui me suit depuis l’enfance ». Il détaille : « D’aussi loin que je m’en souvienne, ça m’a toujours fait rêver, les bateaux volants, la fantasy aérienne avec des nuages, des vaisseaux en bois. » Une esthétique à laquelle il a ajouté des éléments de folklore et d’histoire européenne, comme la sorcellerie ou l’Inquisition. « Une histoire universelle avec un glaçage européen », en résumé.
Métaphore des migrants
Radiant est d’autant plus remarquable qu’il porte un discours politique plutôt fort, avec un regard sur la notion d’étranger, le racisme, l’immigration. Les sorciers de Radiant sont des humains qui ont survécu à une contamination des monstres Némésis. Ils en portent des stigmates visibles et sont craints par le reste de la population, traités de voleurs et de bons à rien, persécutés par l’Inquisition. Tout au long du manga, le héros affronte ce traitement injuste et décide, pour mettre un terme à cette discrimination, de rechercher le berceau des Némésis pour le détruire. L’auteur explique :
« Quand j’ai commencé “Radiant”, la politique en France virait à droite et à l’extrême droite, le discours raciste était quelque peu décomplexé. Ce que je développe sur l’Inquisition fait écho à ce qui se passe en ce moment. »
Il met ainsi dans la bouche de Konrad de Marbourg, un inquisiteur zélé, des propos tenus à l’époque par Manuel Valls. « Des propos incroyables… Je n’ai pas eu à inventer les trucs salauds que disent mes personnages, j’ai pris des citations exactes et je les ai transposées », explique-t-il. Pourtant, Tony Valente l’affirme : « Je ne regarde pas tant que ça l’actu ou la télé mais ces propos ont résonné. Mon manga est un exutoire pour mettre tout ce qui me façonne. »
Dans « Radiant », les sorciers sont mis au ban de la société, comme le montre cette planche du chapitre I. / ANKAMA
Tony Valente est ainsi l’un des premiers mangakas français à connaître un large succès. Il suffisait simplement de constater l’interminable file d’attente de « radiantiseurs », les fans de Tony Valente, pour ses dédicaces, et la salle de conférence comble lors de son passage à la Japan Expo cet été, grand raout français du manga. Selon Ankama, le premier tome s’est écoulé à 45 000 exemplaires, un chiffre excellent. En tout, ce sont désormais plus de 220 000 tomes de Radiant qui se sont vendus en France. « Radiant est aujourd’hui distribué sur tous les continents et est traduit dans six langues », ajoute Elise Storm.
Le premier pays à avoir importé Radiant est le Japon, en août 2015, par l’entremise de Frédéric Toutlemonde, patron d’Euromanga, maison d’édition qui édite des titres de BD européenne au Japon. Trois ans plus tard, la réputation de Radiant dans l’Archipel est forgée : « Sa popularité est excellente si on la compare aux autres BD étrangères au Japon. Mais faible si on la compare à celle des ténors du genre “shônen manga” des grandes maisons d’édition japonaises », à l’instar de One Piece ou Naruto, explique M. Toutlemonde.
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C’est en librairie, en apercevant la couverture, que Yusuke Fujita découvre Radiant et décide de proposer à son employeur, NHK, de produire la série animée.
« J’étais convaincu que cela ferait un bon anime et que si je ne le proposais pas, quelqu’un d’autre finirait par le faire. Il n’a pas été si difficile que ça de convaincre mes supérieurs d’adapter une œuvre française, mais il est vrai que c’est un projet unique au Japon. »
Adaptation minutieuse
NHK démarche Ankama pour acheter les droits et confie ensuite la réalisation du projet au studio d’animation japonais Lerche, qui s’est chargé de la série à succès Assassination Classroom. Le studio offre des conditions de réalisation digne de n’importe quel grand manga. « Ils réfléchissent à tout et rendent plus concret tout ce que j’avais esquissé en free style », explique l’auteur en citant des exemples allant du nombre de rayures sur la jupe de la sorcière Mélie, à la forme exacte des cheveux de Seth, mais aussi les intérieurs des habitations qui n’étaient pas dessinés. Autre gage de foi : le choix des seiyus, les doubleurs des personnages, qui ont le statut de superstars au Japon.
La couverture du tome 1 de « Radiant ». / ANKAMA
Lerche a aussi offert des garanties hors du commun à Tony Valente en le consultant tout au long de la réalisation de la série ; ce qui ne se fait pas forcément avec les autres mangakas. « Je suis allé les rencontrer en décembre, et malgré la traduction, j’ai l’impression qu’on parlait la même langue. Plein de références communes en manga, animation, jeux vidéo… », assure le mangaka. « On a fait des meetings Skype avec l’équipe toutes les semaines. Ils me posent plein de questions pour approfondir, ils me font tout valider, je me sens impliqué. » Ce que confirme Elise Storm, son éditrice : « Au début, on craignait qu’ils gomment le côté politique. Mais finalement, les Japonais n’ont pas tergiversé et ont tenu à restituer fidèlement le travail de Tony. »
Le parcours était déjà exceptionnel. Mais si l’anime Radiant séduit au Japon, il y a fort à parier que le manga connaisse un énorme succès. Tony Valente, lui, savoure mais voit encore plus grand. « Si je pouvais faire quarante tomes, ce serait super ! »