Le Honduras, un pays « pris en étau entre pauvreté extrême et ultraviolence »
Le Honduras, un pays « pris en étau entre pauvreté extrême et ultraviolence »
Par Charlotte Chabas
Depuis la fin des années 1990, ce petit pays d’Amérique latine est gangrené par des gangs devenus « entrepreneurs du crime », qui poussent de plus en plus d’habitants à l’exil.
La marche de Honduriens vers les Etats-Unis
« Ils ne courent pas après le rêve américain, ils fuient le cauchemar hondurien. » C’est par ces mots que le politicien d’opposition hondurien Jari Dixon a commenté le périple de 3 000 de ses compatriotes, partis à pied de San Pedro Sula la semaine passée pour gagner les Etats-Unis. Lancée suite à un appel sur les réseaux sociaux, la caravane de migrants a d’abord franchi la frontière guatémaltèque avant de gagner le Mexique, vendredi 19 octobre.
Ce n’est pas la première fois qu’un tel mouvement de foule se produit. En mai déjà, plusieurs centaines de Honduriens avaient tenté de rejoindre les Etats-Unis en convoi. Une poignée seulement avait pu gagner le sol américain et déposer une demande d’asile. « Ces migrations groupées ont pour but de sensibiliser l’opinion publique sur une situation sociale dramatique », analyse Christophe Ventura, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Taux de pauvreté de 64,3 %
Malgré une croissance de près de 5 % l’an passé, le Honduras figure en vingt-septième position des pays les plus pauvres de la planète. En Amérique centrale, c’est le deuxième pays le plus en difficultés économiques, derrière le Nicaragua. Gangrené par le chômage, ce pays de 9,1 millions d’habitants affiche un taux de pauvreté de 64,3 %. Sur la même période, dans les zones rurales du pays, près d’un habitant sur cinq vivait même en situation d’extrême pauvreté – soit moins de 1,90 dollar par jour (1,66 euro).
Surtout, ce pays bordé par la mer des Caraïbes pâtit d’un taux d’homicide parmi les plus forts au monde – hors conflit militarisé. Les Nations Unies établissaient ainsi en 2015 un taux de 63,8 homicides pour 100 000 habitants. Ce chiffre avait même culminé à 93,2 en 2011.
Comment s’explique cette ultraviolence ? D’abord parce que le pays, indépendant depuis 1821, a vu son histoire émaillée de multiples coups d’Etat – dont le dernier en 2009 –, une guerre civile et des conflits récurrents avec ses voisins – le Guatemala en 1880, et le Salvador lors de la brève « guerre du foot » en 1969.
« Exportation de la délinquance »
Mais le grand basculement dans la violence du Honduras s’opère à la fin des années 1990. Les Etats-Unis procèdent alors à de grandes vagues de « déportations », renvoyant dans leur pays d’origine des délinquants arrêtés sur leur territoire. « Cette exportation de la délinquance américanisée a bouleversé le fragile équilibre social du pays, favorisant l’émergence de gangs ultraviolents », note Christophe Ventura, de l’IRIS. Un mouvement qui s’accompagne d’« une extension à toute l’Amérique latine du narcotrafic, suite à l’échec de la militarisation de la lutte contre les trafics de drogue, imposée par les Etats-Unis ».
Résultat : avec le Guatemala et le Salvador, le Honduras fait désormais partie du « Triangle du nord » d’Amérique centrale. Point de fixation du narcotrafic continental, cette zone est devenue le lieu par lequel transite la drogue conduite de Colombie vers les Etats-Unis. « La société hondurienne est minée par l’ultraviolence des gangs, notamment les organisations mafieuses du MS13 et du Barrio 18 », souligne Christophe Ventura. Ces « maras » « sont devenues des entrepreneurs du crime, et pratiquent l’extorsion et toutes formes de barbarie sur toutes les strates de la population », rappelle le chercheur. Selon le média Radio Progreso, citée par un rapport de la Commission de l’immigration canadien, « un contrat peut être exécuté pour aussi peu que 200 HNL » (7,23 euros).
Purges dans la police
Ce contexte de violence extrême engendre en outre un système politique corrompu. En 2017, de nombreux Honduriens étaient d’ailleurs descendus dans les rues de Tegucigalpa pour protester contre les résultats de l’élection présidentielle du 26 novembre, qu’ils estimaient truqués. Selon Amnesty International, au moins 31 personnes ont été tuées par la police et l’armée.
Le gouvernement a bien tenté quelques réformes pour lutter contre la corruption de ses agents – le pays était classé 123e sur 176 par l’ONG Transparency international en 2016. Le président Juan Orlando Hernández a annoncé la création d’un ministère des droits humains et de la justice, qui doit être opérationnel en 2018. En avril 2016, une commission spéciale pour la purge et le processus de transformation de la police nationale avait été mise en place pour mener une enquête parmi les forces policières. Selon Migdonia Ayestas, coordinatrice de l’Observatoire de la violence au Honduras, plus de 5 000 des 17 000 policiers du pays ont été renvoyés à cette occasion.
Menaces américaines
« Pris en étau entre pauvreté extrême et ultraviolence, de plus en plus de Honduriens choisissent de fuir leur pays, poussés par le désespoir le plus extrême », résume Christophe Ventura, de l’IRIS. En 2014, pour la première fois dans l’histoire de l’immigration d’Amérique latine, le nombre de migrants venus du Triangle du nord a dépassé ceux du Mexique à la frontière avec les Etats-Unis.
Une situation qui déplaît fortement à Donald Trump. Le président américain a annoncé lundi 22 octobre que les Etats-Unis allaient réduire l’aide allouée au Guatemala, au Honduras et au Salvador, déplorant que ces pays n’aient pas été capables « d’empêcher les gens de quitter leur pays pour entrer illégalement aux Etats-Unis ». « Nous allons commencer à couper, ou réduire de façon significative, l’énorme aide internationale que nous leur accordons », a indiqué M. Trump dans un tweet.
La décision aura de lourdes conséquences pour le Honduras. « Le pays, qui exporte très peu, ne sera pas en mesure de défendre sa souveraineté politique et économique », souligne Christophe Ventura, qui parle de « cercle vicieux » : « La ligne défendue par Donald Trump est de continuer à sous-traiter la gestion des migrations aux pays d’origine, sans aider à résorber les problèmes sociaux qui engendrent ces situations de détresse et poussent les gens à l’exil. »