« Ad Vitam » : les petits ennuis de la vie éternelle
« Ad Vitam » : les petits ennuis de la vie éternelle
Par Martine Delahaye
Les six épisodes de cette série dystopique interrogent sur notre quête d’éternité et ses conséquences.
Avant, on mourait. Mais c’est fini. L’éternité est devenue un droit, et même un devoir. A chacun d’entretenir sa forme en se soumettant régulièrement à une régénération de son corps : un bain de jouvence qui, après tout, ne prend guère plus de temps qu’une bonne séance de sauna.
Encore faut-il, pour que cela fonctionne, ne pas faire d’abus ni d’excès outranciers. Faute de quoi rien ne sera plus possible, on sera entré dans le déclin irréversible auquel l’humain était soumis il y a quelque cinquante ans, et l’on mourra, crime suprême.
Mais pour le moment, en ouverture d’Ad Vitam, l’heure est aux célébrations. On est en train de vivre l’événement le plus médiatisé du monde : la doyenne de l’humanité, Setsuko Kashiwara, aussi fraîche qu’une adolescente, fête ses 169 ans, et le monde entier avec elle.
Si ce n’est qu’au petit matin de cette liesse planétaire, le capitaine de police Darius Asram (joué par Yvan Attal) est appelé à découvrir le corps de sept jeunes gens se balançant au gré des vagues, sur une plage ; chacun(e), entre 18 et 23 ans, s’est tiré une balle à bout portant dans la tempe.
Darius Asram pensait pourtant en avoir fini, il y a dix ans, avec ce type de jeunes prêts à s’enrôler dans un collectif pro-suicide, prompts à commettre des attentats contre l’éternité acquise de haute lutte par l’humanité. De toute évidence, il va à nouveau devoir enquêter, infiltrer et comprendre le monde de ces jeunes qualifiés de « terroristes » par les médias. Pourquoi en vient-on à mettre fin à la perspective de l’infini des possibles ? Au nom de quelle aberration peut-on refuser de vivre éternellement ?
Ruptures de ton
Usé et désabusé, centenaire proche de la retraite, ce capitaine Asram fait alors équipe avec la jeune Christa Novak (Garance Marillier, impressionnante), qui va devenir le pôle magnétique de l’enquête. Il y a dix ans, avant d’être enfermée dans un centre pour mineurs révoltés (la majorité ne s’obtient qu’à 30 ans, dans cette société post-mort), ce petit bout de femme tout en nerfs fréquenta la « secte » d’un certain Caron, à l’origine d’une première vague de suicides de jeunes. A fleur de peau, mue par un élan vital qui fait défaut à son partenaire, elle incarnera la quête de sens, et non d’éternité, de la jeunesse.
Série plutôt sombre et énigmatique, non exempte de quelques longueurs, Ad Vitam s’intéresse plus, avec bonheur, à la renaissance de ses personnages, à leurs révoltes et à leurs peurs, qu’à l’intrigue policière proprement dite. Ce qui permet à son créateur, le cinéaste Thomas Cailley (Les Combattants), des ruptures de ton et un mélange des genres (thriller, mélo, onirisme, etc.) qui tranchent avec ce que proposent nombre de séries françaises, surtout lorsqu’elles investissent le champ de l’anticipation.
« En tant que spectateur, souligne Cailley, j’aime qu’on me laisse entrer dans une fiction sans tout m’apporter et m’expliquer. J’y tenais car souvent, dans les séries, on ressent une angoisse du vide qui fait qu’on met de la musique partout ou plein de dialogues absolument pas nécessaires. J’aime bien quand on obtient les réponses au bout d’un moment, comme pour les méduses dans Ad Vitam. C’est une façon de faire immersive, comme dans la vie. »
« Ad Vitam », série créée par Thomas Cailley (France, 2018, 6 × 52 minutes). Deux épisodes chaque jeudi. Arte.tv