Quatre questions sur la détention de Carlos Ghosn au Japon
Quatre questions sur la détention de Carlos Ghosn au Japon
Par Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)
Le parquet de Tokyo a décidé, mercredi, de prolonger de 10 jours la garde à vue du patron de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi.
A Tokyo, le 21 novembre. / TORU HANAI / REUTERS
Dix jours supplémentaires. Le parquet de Tokyo a prolongé mercredi 21 novembre la garde à vue du tout-puissant patron du numéro un mondial de l’automobile Renault-Nissan-Mitsubishi, Carlos Ghosn.
- Combien de temps peut-il rester en garde à vue ?
Selon la loi nippone, une garde à vue de soixante-douze heures peut être prolongée de dix jours à deux reprises. Au total, donc, un suspect peut donc rester jusqu’à vingt-trois jours en détention. En vertu de son statut de simple gardé à vue, M. Ghosn bénéficierait d’une cellule individuelle.
Dans cette affaire, d’autres personnes sont impliquées, dont l’ancien directeur représentatif Greg Kelly. Le maintien derrière les barreaux permet d’éviter les contacts. Carlos Ghosn pourrait donc ne pas obtenir de libération sous caution.
A l’issue de sa garde à vue, il reviendra au juge de décider d’une éventuelle mise en examen et du maintien ou non sous écrou. En général, les étrangers restent détenus car les autorités japonaises redoutent leur départ du pays.
- De quoi est accusé M. Ghosn ?
M. Ghosn est accusé de déclarations fiscales minorées entre 2011 et 2015, d’usage à des fins privées de biens de l’entreprise et de détournement de fonds destinés à des investissements. L’affaire a commencé grâce à un lanceur d’alerte.
Nissan a initié une enquête interne et prévenu le parquet en utilisant la nouvelle procédure dite « du plaider coupable », entrée en vigueur à l’été 2018 et qui permet d’obtenir des sanctions réduites quand on reconnaît un méfait.
- Un système japonais qui limite les contacts
Les avocats ne peuvent pas assister aux interrogatoires car cette phase de la procédure n’est pas considérée comme faisant partie du débat contradictoire. Elle est également essentielle au système japonais, qui est fondé sur l’aveu.
Quant aux contacts avec la famille, ils dépendent du parquet. Ils peuvent être autorisés ou non. Dans le cas de M. Ghosn, il semble qu’ils aient été interdits pour éviter des fuites. Il ne peut donc que joindre un avocat pour un conseil et obtenir la visite de l’ambassade de France car il bénéficie de la protection consulaire.
- Possibilité de « remettre à zéro » le temps de détention
Une personne peut être maintenue plusieurs mois en détention sans jugement, un système baptisé « justice de l’otage ». Comme l’explique ainsi Colin P. A. Jones, de la faculté de droit de l’université Doshisha, à Kyoto :
« Pendant cette période [de garde à vue], la police peut interroger le suspect de l’aube au crépuscule. En outre, même si un suspect est placé en garde à vue pour un crime, il peut y avoir un prétexte pour de plus amples investigations, qui se traduisent par de nouvelles gardes à vue et donc par la remise à zéro du temps de détention. »
C’est arrivé à Hiroji Yamashiro, dirigeant du Centre pour la paix à Okinawa, une ONG à la pointe de la lutte contre la présence des bases américaines dans son département. Il a passé cinq mois en détention, entre octobre 2016 et mars 2017, sans voir sa famille et surtout sans jugement.
De même, Yasunori Kagoike, personnage clé du scandale de trafic d’influence Moritomo dans lequel le nom du premier ministre Shinzo Abe a été évoqué, a passé plusieurs mois en détention en 2017 et 2018.