Racisme : Raheem Sterling attaque les stéréotypes et les différences de traitement des tabloïds
Racisme : Raheem Sterling attaque les stéréotypes et les différences de traitement des tabloïds
Par Jérôme Latta
Cible présumée d’injures racistes, samedi sur la pelouse de Chelsea, le joueur de Manchester City a accusé certains médias d’entretenir le racisme ambiant par leurs critiques ciblées.
Raheem Sterling affirme avoir été victime d’injures racistes lors du match de Premier League Chelsea FC-Manchester City, samedi 8 décembre. / ADRIAN DENNIS / AFP
Chronique. Raheem Sterling a réagi en deux temps aux injures racistes dont il affirme avoir été victime alors qu’il récupérait un ballon derrière la ligne de but, lors du match de Premier League Chelsea FC-Manchester City, samedi 8 décembre. Sur le moment, l’international anglais a arboré un sourire assez large mais un peu navré. Dimanche matin, il a posté sur son compte Instagram un commentaire plus circonstancié, dans lequel il a expliqué cette première réaction comme la seule possible face à des agissements auxquels il se dit malheureusement habitué : « Je n’ai pu que rire parce que je ne m’attends à rien de mieux. »
Sterling a reçu le soutien de nombreux joueurs et anciens joueurs, une enquête a été ouverte par la police et le club de Chelsea, soutenue par la fédération anglaise. L’incident succède à un jet de peau de banane, visant l’attaquant d’Arsenal Pierre-Emerick Aubameyang, par un supporteur de Tottenham le week-end précédent.
Différences de traitement
La cible des insultes aurait pu espérer un meilleur cadeau d’anniversaire, le jour de ses 24 ans, mais sa réplique n’en a pas fait à ceux qu’il a pris pour cible dans la suite de son message : certains médias, qu’il accuse « d’alimenter le racisme et l’agressivité » par leur traitement différencié des joueurs selon leurs origines.
Prenant pour exemples « deux jeunes joueurs évoluant dans la même équipe, qui ont tous les deux fait un choix juste : acheter une maison à leurs mères, qui ont consacré beaucoup de temps et d’amour pour qu’ils parviennent là où ils sont », Sterling affiche les captures d’écran de deux titres du Daily Mail.
Les articles sont consacrés à deux de ses coéquipiers, Tosin Adarabioyo (21 ans, prêté cette saison à West Bromwich Albion) et Phil Foden (18 ans). Le premier titre évoque l’achat d’une maison à 2,25 millions de livres (2,5 millions d’euros) « bien que [Adarabioyo] n’ait
jamais débuté un match de Premier League ». Le second, l’achat d’une « nouvelle maison à 2 millions de livres pour sa maman ».
Adarabioyo est Noir, Foden blanc, et ce qui est présenté sous un angle critique pour l’un l’est comme une action vertueuse pour l’autre. « Tous deux n’ont rien fait de mal, mais avec la manière dont cela est formulé, le gamin noir est présenté sous un jour négatif », commente Sterling.
Attaques gratuites
Lui-même a suscité de telles controverses lorsqu’il acquit une demeure pour sa propre mère, à laquelle il avait rendu un hommage émouvant dans une tribune publiée en juin. Il y décrivait le jour de cette acquisition comme le plus heureux de sa vie, rappelant les déménagements incessants de sa famille monoparentale lorsque cette immigrée jamaïcaine à Londres nettoyait les toilettes dans les écoles et changeait les draps dans les hôtels.
Il exprimait aussi son incompréhension quant à la présentation de son mode de vie, décrit comme « bling-bling » par les tabloïds, qui lui prêtent un penchant pour les diamants et l’ostentation, qu’il estime infondé.
Sur Twitter, Adam Keyworth, supporteur de City, avait compilé, en mai, toutes les attaques gratuites et souvent injurieuses dont le joueur a été l’objet par cette presse à sensations.
Son ancien conseiller en communication, Paul McCarthy, a estimé que certains médias propagent un racisme ouvert ou dissimulé, « pas contre tous les jeunes footballeurs noirs, mais contre ceux qui ne se conforment pas à la conception historique, blanche et de classe moyenne du “savoir rester à sa place” ».
Les goûts et la couleur
De ce côté de la Manche, le procès des origines s’est aussi, bien souvent, déguisé en procès des styles de vie. Paul Pogba en a fait les frais au printemps, au moment de la diffusion par Canal+ d’une série d’entretiens intitulée « Pogba Mondial ».
L’international tricolore de Manchester United y montrait et assumait sans complexe son intérieur clinquant et ses références culturelles – celles d’une jeunesse française souvent stigmatisée, directement ou indirectement.
La victoire en Russie a dissipé ces reproches, et la France s’est prise à chanter du Vegedream et à danser sur les playlists de ses champions du monde Noirs – dont on cessa d’examiner les goûts et la couleur.
Tout l’intérêt de l’intervention de Raheem Sterling est précisément de ne pas s’en tenir aux manifestations explicites du racisme : elle désigne les stéréotypes et les différences de traitement qui offrent à ces manifestations un contexte favorable pour germer et s’exprimer. Des discriminations symboliques, insidieuses, mais profondément enracinées et particulièrement toxiques.