Affaire Huawei : le casse-tête chinois de Justin Trudeau
Affaire Huawei : le casse-tête chinois de Justin Trudeau
Par Anne Pélouas (Montréal, correspondance)
Pékin détient un troisième ressortissant canadien, après qu’Ottawa a arrêté la directrice financière du groupe de télécoms à la demande des Etats-Unis.
Le premier ministre canadien Justin Trudeau, durant une conférence de presse, à Ottawa, le 19 décembre. / Adrian Wyld / AP
Le ministère chinois des affaires étrangères a confirmé, jeudi 20 décembre, l’arrestation de Sarah McIver, une enseignante canadienne accusée de travailler illégalement en Chine. La porte-parole du ministère, Hua Chunying, a précisé qu’elle était passible de « sanctions administratives ».
Cette affaire n’a pas la gravité des accusations de menace à « la sécurité nationale » émises à l’encontre de deux autres Canadiens récemment arrêtés. Mais les autorités chinoises savent devenir tatillonnes sur le respect des règles administratives quand elles le considèrent opportun. Cette troisième arrestation d’un ressortissant canadien avait, en tout cas, mercredi 19 décembre, attisé les craintes au Canada, en porte-à-faux entre la Chine et les Etats-Unis depuis l’arrestation à Vancouver de Meng Wanzhou, directrice financière du groupe Huawei.
La fille du fondateur de Huawei, géant chinois des télécommunications, a été arrêtée le 1er décembre en vertu d’une demande des Etats-Unis qui la soupçonnent de complicité de fraude pour contourner les sanctions américaines contre l’Iran. Mme Meng a été remise en liberté sous caution le 12 décembre, en attente d’une audience d’extradition en février.
Poursuivre le processus d’extradition
Début décembre, le gouvernement chinois a menacé Ottawa de « conséquences graves » si Mme Meng n’était pas libérée. Le gouvernement canadien maintient que la séparation des pouvoirs politique et judiciaire au Canada impose de laisser se poursuivre le processus de demande d’extradition de Mme Meng, formulée par les Etats-Unis.
Ont suivi les arrestations de Michael Kovrig, ex-diplomate employé par l’ONG International Crisis Group, puis celle de l’homme d’affaires Michael Sparov, consultant, spécialiste de la Corée du Nord. Les autorités chinoises ont attendu quatre jours dans le cas de M. Kovrig et six pour M. Spavor avant d’autoriser des diplomates canadiens à rencontrer les deux accusés. M. Kovrig n’a ni vu d’avocat ni été autorisé à être libéré sous caution. Il serait interrogé du matin au soir, et obligé de dormir avec les lampes allumées, a déclaré une source à Reuters. Des exceptions dans les lois chinoises permettent de limiter l’accès à un avocat dans les cas de menaces à la sécurité nationale.
« Nous avons déjà dit que la Chine avait, conformément à la loi, garanti les droits légaux de Michael Kovrig et son traitement humanitaire », a déclaré la porte-parole chinoise Hua Chunying lors du point de presse quotidien du vendredi 21 décembre. Tout en ajoutant, au sujet de la directrice financière de Huawei : « Je ne sais pas si vous avez prêté attention au traitement ou aux droits de l’homme du citoyen chinois qui a été illégalement détenu au Canada à la demande des Etats-Unis ? »
« Nous prenons chaque cas au sérieux », avait déclaré mercredi le premier ministre canadien Justin Trudeau, interrogé lors de sa conférence de presse de fin d’année à Ottawa. L’affaire Huawei et ces trois arrestations avaient dominé les échanges avec les journalistes.
« Une approche axée sur les résultats »
Face à ceux qui lui reprochent de ne pas réagir plus fermement vis-à-vis de la Chine, M. Trudeau revendique « une approche axée sur les résultats », soit la libération des détenus canadiens. Il veut éviter de jeter de l’huile sur le feu, estimant que « politiser la situation ne va pas forcément contribuer à la résoudre » et pourrait même « compliquer la libération des Canadiens ».
Les tensions diplomatiques commencent à pénaliser des entreprises canadiennes qui travaillent avec la Chine, comme la marque de vêtements Canada Goose qui a retardé l’ouverture d’un magasin dans ce pays. Certains des 140 000 étudiants chinois qui étudient chaque année au Canada pourraient aussi bouder le pays et se tourner vers d’autres, a prévenu mardi le Global Times, quotidien chinois proche du régime.
L’inculpation jeudi de deux hackers chinois par les Etats-Unis, suivant le refus par plusieurs pays occidentaux (Etats-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, certains opérateurs en France) d’autoriser Huawei à déployer son réseau téléphonique 5G sur leurs territoires par crainte d’espionnage, risque fort d’aggraver ces tensions.
M. Trudeau s’est montré embarrassé mercredi sur les suites à donner à un projet 5G mené par le groupe chinois au Canada. C’est, a-t-il dit, « une décision très importante que nous devrons prendre », laissant entendre que cela devrait être pour bientôt. Déjà bien implanté au Canada, le groupe a notamment financé des projets dans treize universités canadiennes pour un montant de 50 millions de dollars canadiens (32,6 millions d’euros) au cours des dernières années.