Des partisans de Martin Fayulu lors du dépouillement des votes aux élections congolaises, à Kinshasa, le 30 décembre 2018. / MARCO LONGARI / AFP

Le Kempinski est l’un des plus beaux hôtels de Kinshasa. Entre la terrasse du bar et le fleuve Congo, il y a une piscine où nul ne se baigne vraiment. Peut-être y a-t-il trop d’observateurs qui rôdent là ; des scrutateurs envoyés en République démocratique du Congo (RDC) spécialement pour les élections du 30 décembre. Leurs gilets indiquent par qui ils sont dépêchés : bleu pour la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), beige pour l’Union africaine (UA). Pour eux, le temps s’est arrêté. Alors ils végètent dans le palace et se gobergent à grands frais en attendant, comme tout le pays, les résultats partiels du scrutin.

Ces deux organisations régionales ont déjà exprimé leurs conclusions sur la tenue des élections. Et malgré quelques bémols comme des retards dans l’ouverture des bureaux de vote ou « des pertes en vies humaines », ces missions d’observation électorale ont salué la bonne tenue des opérations. « Une première grande victoire du peuple congolais », a déclaré Dioncounda Traoré, ancien président du Mali par intérim (2012-2013) et chef de la mission d’observation de l’UA, pour qui ces élections se sont « globalement déroulées dans un climat apaisé et serein ». Elles ont été « relativement bien gérées et le processus s’est relativement bien déroulé », ajoute son homologue de la SADC, Joseph Malanji, ministre zambien des affaires étrangères.

La Cenco au centre du jeu

Dans le lobby du Kempinski, on croise aussi Corneille Nangaa, le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). En ce début d’année, il est plutôt jovial et décontracté, casquette SADC vissée sur la tête. Même s’il est le personnage le plus critiqué du pays, soupçonné d’être à la solde du régime de Joseph Kabila, et que le dépouillement des bulletins de vote a pris du retard – seuls 20 % des résultats avaient été compilés jeudi 3 janvier –, il pense déjà à l’après, dans sa province du Haut-Uelé (nord-est) où il ne cesse de répéter qu’il veut s’occuper de ses champs, mais pas seulement. « J’y ai acheté des mines d’or et j’ai les permis d’exploitation. Vous pouvez l’écrire. Il n’y a pas que les multinationales étrangères qui doivent pouvoir exploiter nos ressources », dit-il.

La mission des Nations unies en RDC (Monusco) et l’Union européenne (UE) ont été tenues à l’écart du processus électoral. Leurs propositions de soutien logistique et financier ont été refusées par les autorités congolaises, de même que leurs observateurs, au nom d’une sacro-sainte « souveraineté » et d’une lutte obsessionnelle contre « l’ingérence ». Peu critiques et adeptes d’une diplomatie traditionnellement consensuelle, la SADC et l’UA, qui ont déployé 153 observateurs dans un pays plus grand que l’Europe occidentale, sont assez peu menaçantes pour la CENI et pour le régime de Kabila.

Sans le vouloir, le président sortant et ses stratèges, certains de la victoire de leur candidat, Emmanuel Ramazani Shadary, ont peut-être fait une erreur en refusant les observateurs internationaux aux déclarations souvent timorées et diplomatiques. Car plus que la SADC et l’UA, le peuple congolais tout comme la dite « communauté internationale » s’en remettent à l’Eglise catholique congolaise, qui, elle, a déployé 40 000 observateurs. Intransigeante et rigoureuse, ayant démontré sa capacité à tenir tête au régime de Kabila au cours des deux dernières années, elle se retrouve une fois encore au centre du jeu. La Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) a ainsi dénoncé les « irrégularités relevées » par ses observateurs. Contrairement à la CENI, elle n’a pas tardé à traiter les observations glanées par ses agents disséminés partout dans le pays.

Un vrai bouleversement

« Les données en notre possession, issues des procès-verbaux de vote, consacrent le choix d’un candidat comme président de la République », a déclaré l’abbé Donatien Nsholé, secrétaire général de la Cenco, le 3 janvier. En clair, l’Eglise catholique congolaise est déjà en mesure de dire qui est le nouveau président élu. A sa manière, elle met en garde le régime de Kabila et surtout la CENI contre la tentation de proclamer la victoire d’un autre candidat, ce qu’elle contesterait. « La CENI est appelée à publier, en toute responsabilité, les résultats des élections dans le respect de la vérité », ajoute M. Nsholé.

Cette déclaration est un vrai bouleversement sur la scène du théâtre politique congolais, où chacun des trois grands candidats (Emmanuel Ramazani Shadary, Martin Fayulu et Etienne Tshisekedi) se dit certain de sa victoire. A commencer par le pouvoir en place, qui n’avait jusque-là aucun obstacle de taille ni d’institution de poids osant le défier. De son côté, le challengeur Martin Fayulu, à la popularité révélée durant cette campagne, se montre discret et réservé. Depuis sa maison-hôtel voisine du Kempinski, l’opposant si longtemps snobé – y compris dans son propre camp – est néanmoins certain de l’emporter. Jusqu’à la déclaration de la Cenco, cet ancien cadre de société pétrolière était persuadé que la CENI lui volerait son élection.