Visas et passeports « dorés » : Bruxelles durcit (un peu) le ton
Visas et passeports « dorés » : Bruxelles durcit (un peu) le ton
LE MONDE ECONOMIE
La Commission européenne annonce son intention d’intensifier l’examen des conditions dans lesquelles sont octroyés ces documents.
La commissaire européenne à la justice, Vera Jourova, le 10 décembre 2018, à Bruxelles. / JOHN THYS / AFP
Enfin. Une résolution du Parlement européen l’avait réclamé dès 2014, la Commission de Bruxelles l’a publié, cinq ans plus tard, mercredi 23 janvier. De quoi s’agit-il ? Du rapport sur les systèmes d’octroi de passeports et visas « dorés » à des citoyens étrangers à l’Union européenne. Le texte détaille les risques que ces dispositifs recèlent en matière de sécurité, d’évasion fiscale, de corruption et de blanchiment. Un système qui permet à de riches immigrants russes, chinois, africains ou américains d’obtenir la nationalité ou un droit de résidence. De là à affirmer que ces dispositifs ont vécu ? Sans doute pas.
Mise sous pression à la suite d’une cascade de révélations – dont celles des « Panama papers » –, la Commission promet toutefois d’intensifier l’examen des conditions d’attribution, afin d’améliorer « la transparence et la gouvernance » des règles pour l’acquisition de la nationalité. Celle-ci offre non seulement à son bénéficiaire la citoyenneté européenne, mais aussi la liberté de circuler dans l’Union, ainsi que l’accès à son marché intérieur et à une activité économique.
Trois pays membres sont ciblés : Malte, Chypre et la Bulgarie. On peut y obtenir un « passeport doré » – la nationalité –, à condition d’investir au moins 800 000 euros (Malte), 1 million (Bulgarie) ou 2 millions d’euros (Chypre). Aucune obligation de résidence n’est formulée, pas plus que l’existence d’un « lien véritable » avec le pays, théoriquement imposé par la réglementation européenne.
Des conditions très variables selon les pays
Selon la commissaire à la justice, Vera Jourova, la Bulgarie – où a éclaté, fin 2018, un scandale de trafic de passeports impliquant des membres du gouvernement – aurait prévu de durcir ses règles, voire d’abolir le procédé. Le flou règne, en revanche, sur la situation de Malte et de Chypre, qui promettent seulement de coopérer avec Bruxelles et de tenir compte de ses remarques. De nombreux oligarques russes auraient bénéficié de leurs largesses et, peut-être, des fraudeurs, des criminels ou des terroristes.
Malte (où l’on peut donner de l’argent à une organisation de bénévoles ou à un club sportif) a fixé un plafond de 1 800 passeports par an, Chypre parle de 700. La Bulgarie, n’en délivrerait que quelques centaines.
Le système des « visas dorés » – qui octroie un permis de séjour à un investisseur dans un pays de l’Union – est, lui, en vigueur dans 20 Etats européens, dont la France, l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni, etc. Il demeure une compétence strictement nationale et n’est pas régulé au niveau européen. Il permet au bénéficiaire de se déplacer librement dans l’espace Schengen – durant quatre vingt-dix jours en l’espace de six mois, au maximum – et de bénéficier des lois sur le regroupement familial.
Les conditions fixées par les pays concernés sont très variables – de 13 500 à 5 millions d’euros d’investissements requis – et évoquent aussi bien « une contribution au budget national », qu’un investissement mobilier ou un don à une œuvre de charité. Si les Pays-Bas – qui ont fixé l’investissement plancher à 1,25 million – entendent, affirment-ils, renoncer à cette pratique, l’Autriche, la Grèce, la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie et le Portugal maintiennent des conditions jugées minimalistes. A Lisbonne, trois personnalités, dont l’ancien ministre de l’intérieur, Miguel Macedo, viennent d’être acquittées dans une affaire de corruption, qui aurait bénéficié, selon le parquet, à de riches angolais et chinois.
Un rapport évasif
Prudente, la communication de Bruxelles évoque toutefois quelques problèmes de taille concernant une série de pays : des contrôles de sécurité insuffisants sur le passé du demandeur ou l’origine des sommes qu’il investit, l’absence de communication entre les capitales sur l’identité des bénéficiaires ou le silence sur le nombre exact de visas délivrés jusqu’ici.
Comment éviter les dérives ? Le rapport de Bruxelles reste évasif. Il se limite à l’annonce de la mise en place d’un comité d’experts, issus des pays membres et censés définir des « critères communs ». Il parle aussi de « recommandations » aux pays membres. « Je regrette la faiblesse de ces recommandations et la création d’un groupe d’experts est un moyen de retarder encore la mise en place de véritables solutions. C’est un nouvel enfumage politique », a déclaré l’eurodéputée Verte et ancienne juge Eva Joly.
Au début de 2018, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avait elle aussi donné l’alerte sur le système des passeports et visas « dorés », en vigueur dans 90 Etats du monde au total. Dans le cadre de son action contre la fraude, l’OCDE relevait que la pratique permet aussi d’échapper aux contrôles permis par l’échange automatique de données, une arme lourde contre les fraudeurs, en développement au niveau mondial. Un deuxième passeport permet en principe d’éviter les contrôles sur les montants détenus par un étranger : le pays d’origine du fraudeur ne sera pas mis au courant par l’Etat où l’argent a atterri… L’OCDE recommande dès lors un durcissement des règles d’octroi.