En Syrie, le « califat » de l’EI perd son dernier territoire
En Syrie, le « califat » de l’EI perd son dernier territoire
Par Madjid Zerrouky
En dépit de sa défaite militaire, l’organisation djihadiste tente de profiter du vide créé par le retrait américain annoncé par Donald Trump.
Des civils fuyant les dernières zones contrôlées par l’EI, le 24 janvier, sur une vidéo mise en ligne par les forces kurdes. / - / AFP
Le dernier îlot du « califat » autoproclamé par l’organisation Etat islamique (EI) en 2014 vit ses dernières heures. Vendredi 25 janvier, les Forces démocratiques syriennes (FDS) encerclaient Al-Marachida, la dernière localité contrôlée par l’EI dans la vallée du Moyen-Euphrate, une petite bourgade rurale isolée entre deux bras du fleuve.
C’est l’épilogue d’une campagne militaire qui a mené l’alliance arabo-kurde de la frontière turque, dans le nord de la Syrie, à la frontière irakienne, dans le sud-est. Une course-poursuite de cinq années qui a coûté la vie à près de 10 000 de ses membres.
Les FDS avaient lancé en septembre une offensive contre le dernier réduit territorial de l’EI dans la province de Deir ez-Zor, frontalière de l’Irak, avec l’appui des frappes aériennes de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis.
Ces quatre derniers mois, les combats dans la région ont tué plus d’un millier de djihadistes, tandis que plus de 600 combattants des FDS sont morts face à l’EI. Plus de 400 civils ont péri, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme.
Les derniers habitants du « califat » fuient en masse ses derniers décombres, la famine et les bombardements. « Parmi ceux qui fuient, il y a beaucoup de familles de l’EI de nationalité non syrienne, et des djihadistes qui tentent de se cacher parmi les civils », indiquait jeudi Redur Khalil, le porte-parole des Unités de protection du peuple (YPG) kurdes, la colonne vertébrale des FDS, liées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Cellules dormantes
Selon un djihadiste canadien capturé la semaine dernière, les combattants étrangers de l’EI chercheraient désormais à s’extraire de la province de Deir ez-Zor pour gagner la Turquie. Fin novembre 2018, il restait 250 à 300 Français – hommes et femmes – dans cette zone, selon des sources françaises. Le Royame-Uni, lui, estime à 200 le nombre de Britanniques membres de l’EI susceptibles d’être toujours en vie.
Militairement en déroute sur le terrain conventionnel, l’organisation djihadiste reste pourtant bien présente, clandestinement. Les cellules dormantes, même dans les territoires contrôlés par les FDS, sont nombreuses, et la capacité de l’EI à recruter localement se maintient, selon les observateurs locaux.
Annoncé vaincu par le président des Etats-Unis, Donald Trump, qui a décidé de retirer les troupes américaines de Syrie, l’EI ne cesse de revendiquer des attaques meurtrières dans des régions dont il a perdu le contrôle territorial, parfois depuis des années. Le 16 janvier, l’organisation s’est rappelée au souvenir de Washington quand un kamikaze a tué quatre Américains, dont deux soldats, à Manbij, une ville contrôlée par les FDS, dans le nord du pays, et d’où les djihadistes avaient été expulsés en 2016.
« Nous le répétons : la fin géographique de l’EI ne signifie pas la fin de l’organisation », réaffirmait, jeudi, le commandant Khalil. « La situation est loin d’être stabilisée. Daech est peut-être défait militairement, mais son idéologie est toujours là. Et donc sa capacité à recruter et à maintenir des cellules terroristes et dormantes », rappelait la semaine passée une source sécuritaire à Manbij.
« L’EI n’est pas vaincu, cette mission n’est pas terminée »
Une conviction partagée à Paris, où l’on insiste sur la nécessité de continuer à consolider un travail antiterroriste dans le Nord-Est syrien, car « l’EI renaît toujours ». D’autant plus que le groupe djihadiste tente de renouer avec la stratégie insurrectionnelle qui lui avait permis de survivre, entre 2007 et 2013, en Irak. S’ils n’y contrôlent plus de territoires, les djihadistes continuent de tuer : 1 300 attaques ont frappé le pays au cours des dix premiers mois de 2018, selon les chiffres du centre antiterroriste de l’académie militaire américaine de West Point.
A Washington, nombreux sont ceux qui craignent de voir l’EI se nourrir du chaos et du vide politique causés par un retrait des Etats-Unis de Syrie. « Début décembre, le secrétaire [à la défense] Mattis et moi-même avons rencontré tous les contributeurs militaires de notre coalition, y compris de nombreux pays qui avaient été attaqués par l’EI depuis la Syrie, et le point de vue unanime est que l’EI n’est pas vaincu, cette mission n’est pas terminée », assénait mardi, devant les caméras de CNN, l’ancien émissaire des Etats-Unis auprès de la coalition internationale, Brett McGurk, qui a démissionné en décembre 2018.
« Je ne pense pas qu’il y ait un seul expert qui entrerait dans le bureau Ovale pour dire au président que c’est fini. L’ironie, c’est que [Donald Trump] avait juré de balayer l’EI dès le début [de son mandat]. Malheureusement, ses récents choix donnent déjà une nouvelle vie à l’EI – et à d’autres adversaires des Américains. »
Désavoué alors qu’il plaidait en faveur du maintien de cette force de stabilisation déployée dans le nord-est du pays pour lutter contre l’EI, James Mattis a jugé, lui, le 20 décembre 2018, qu’il n’était plus en mesure de travailler aux côtés de Donald Trump. Même si le président américain a suggéré que les troupes américaines pourraient continuer à mener des opérations en Syrie depuis l’Irak voisin, traversant la frontière en cas de besoin pour effectuer des raids.
« Collecte de renseignements »
« Les gens pensent à tort que la présence militaire américaine, ce sont des soldats américains qui tirent sur des méchants. Mais c’est aussi une question de collecte de renseignements. Le confinement d’Al-Qaida en Irak [dans les années 2000] n’a pu se faire qu’avec une collaboration et une liaison directe avec des partenaires locaux sur le terrain », souligne l’analyste Michael Weiss, coauteur de EI. Au cœur de l’armée de la terreur (Hugo Document, 2015).
« Ce qui est préoccupant, c’est que, si les Etats-Unis se retirent complètement, nous devrons compter sur trois Etats notoirement peu fiables pour contenir l’EI : la Russie, l’Iran et le régime Assad. Celui qui, jadis, a laissé passer ou a envoyé les djihadistes d’Al-Qaida en Irak pour tuer des soldats américains ou des civils irakiens », note Michael Weiss. Il ne s’agit pas seulement de lutter contre le terrorisme. Quelle est la stratégie des Etats-Unis dans la région ? Céder l’espace de combat et les zones d’influence à ses ennemis ? Stratégiquement, cela n’a aucun sens. Et comme on le voit en Irak, l’EI montre déjà des signes de remobilisation alors que le gouvernement [irakien] s’est également révélé incapable de contenir la menace. »