Inégalités : « Il y a une prise de conscience que les pratiques actuelles ne sont pas soutenables »
Inégalités : « Il y a une prise de conscience que les pratiques actuelles ne sont pas soutenables »
Propos recueillis par Marie de Vergès (Davos, Suisse, envoyée spéciale)
Ian Goldin, professeur à Oxford, souligne l’évolution des esprits sur la mondialisation au Forum de Davos, tout regrettant « le manque d’engagement concret à régler les problèmes ».
Ian Goldin, professeur à Oxford, en 2016. / Oxford Marin School/creative common
La mondialisation est-elle en train d’entrer dans une nouvelle phase ? Le Forum de Davos, en Suisse, où se sont réunies les élites économiques mondiales jusqu’au vendredi 25 janvier, a largement débattu des mutations impulsées par l’essor des technologies, la montée des inégalités, et la tentation du repli. Présent à Davos, Ian Goldin est professeur à Oxford et spécialiste de ces questions. Il redoute que la politique menée par l’administration Trump laisse « se développer les côtés les plus laids de la mondialisation ».
La mondialisation peut-elle être remise en cause par l’administration Trump et ses menaces de guerre commerciale ?
Non car la mondialisation est loin d’être un phénomène purement commercial. Elle repose aussi sur la diffusion des idées à travers la planète, et le développement accéléré de la technologie. Cela dit, les initiatives américaines peuvent faire beaucoup de mal. Aux Etats-Unis eux-mêmes d’abord, mais aussi à la coopération internationale. En « affamant » les institutions internationales, comme Donald Trump semble vouloir le faire, on risque de laisser se développer les côtés les plus laids de la mondialisation, que ce soit les inégalités ou la pollution. Et de vrais progrès, comme le recul de l’illettrisme à travers le monde, pourraient être interrompus.
Paradoxalement, ce repli américain va laisser plus de place à la Chine, que les Etats-Unis prétendent pourtant vouloir contrecarrer. Mais aussi à l’Europe, qui peut avoir là un vrai rôle à jouer. L’Europe semble parfois faible, mais sur certains aspects, elle est la région la plus importante du monde. C’est le cas, par exemple, pour sa politique de développement. Ou encore son système de régulation des données, le RGPD [règlement
général sur la protection des données] qui est le plus sophistiqué de la planète.
Cette question de la régulation des données a beaucoup animé les débats à Davos. Pensez-vous qu’on puisse établir une gouvernance mondiale des données ?
Vraisemblablement pas de sitôt. Et c’est l’un des aspects les plus épineux de la mondialisation qu’il va nous falloir régler. Tout ce processus va se heurter à d’importantes résistances de la part des entreprises et de certains Etats. Cette grande tension qui monte entre les Etats-Unis et la Chine est d’ailleurs largement liée au sujet des données. Plus une entreprise dispose de données, plus elle devient puissante et efficace. De par la nature de leur fonctionnement, la Chine et ses entreprises ont la possibilité de les collecter très rapidement, ce qui leur donne un grand avantage concurrentiel.
Que pensez-vous de tous les appels lancés à Davos en faveur d’une meilleure prise en compte des inégalités ? Se trouve-t-on à un tournant ?
Il semble y avoir une prise de conscience que les pratiques actuelles ne sont pas soutenables. La question est : tout cela va-t-il déboucher réellement sur quelque chose ? Ce qui est encourageant, c’est cette reconnaissance d’une nécessité de changement. Ce qui est dommage, c’est le manque d’engagement concret à régler les problèmes. Qui a-t-on vraiment entendu dire ici : je m’engage dans une stratégie d’investissement zéro carbone, ou encore je vais taxer davantage les plus riches pour plus de redistribution et de meilleurs services publics ? Il faut rendre les gouvernements et les entreprises responsables et comptables de leurs actes. La mondialisation va très vite. Il faut donc agir
plus vite encore pour pouvoir répondre aux défis.