L’avocat de Teodorin Obiang, Emmanuel Marsigny, à l’ouverture du procès de son client dans l’affaire dite des « biens mal acquis », le 2 janvier à Paris. | BERTRAND GUAY / AFP

Jet-setter impénitent, flambeur sans limite, Teodorin Obiang Nguema n’avait jusque-là jamais montré son goût pour la discrétion. Le fils du président de Guinée équatoriale ne s’est pourtant pas présenté à l’ouverture de son procès à Paris, lundi 2 janvier. Poursuivi pour blanchiment d’abus de biens sociaux, détournement de fonds publics, abus de confiance et corruption, celui-ci disposera d’une nouvelle occasion de venir s’expliquer devant la justice française. Après deux jours d’audience, la présidente du tribunal correctionnel chargé de le juger a en partie accédé à la demande des avocats de la défense en décidant, mercredi, de reporter le début du premier procès dit des « biens mal acquis » au 19 juin.

Prudente, la magistrate Bénédicte de Perthuis a justifié ce renvoi au nom d’une « bonne administration de la justice ». Les conseils de M. Obiang Nguema avaient lundi prétexté d’un délai « trop court » – huit semaines – pour préparer leur défense.

Un autre élément est entré en ligne de compte : la présidente du tribunal s’était interrogée lors du premier jour d’audience sur les implications de la procédure en cours devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye. Saisie par Malabo, qui rejette le droit à la France de juger l’un de ses gouvernants, cette juridiction a rendu le 7 décembre une ordonnance obligeant Paris à assurer, dans l’attente d’une décision sur le fond du dossier, l’inviolabilité d’un hôtel particulier situé sur la prestigieuse avenue Foch, saisi par la justice française mais que la Guinée équatoriale a depuis transformé en ambassade. La procédure à La Haye pouvant encore durer entre deux et trois ans, le tribunal a cependant décidé de ne pas caler son agenda sur celui de la CIJ.

Un catalogue de dépenses somptuaires

Mercredi, dans les couloirs du palais de justice de Paris, chaque camp semblait accepter ce renvoi. Sans se priver de dénoncer « les manigances de la défense qui pourrait publier un guide des manœuvres dilatoires », William Bourdon, l’avocat de l’organisation Transparency International, qui avec l’association Sherpa avait déposé la première plainte en 2007, considérait que « quelques mois de plus ou de moins, ça ne change pas grand-chose ». De son côté, Sergio Tomo, venu de Malabo pour grossir l’équipe des défenseurs de M. Obiang Nguema, affichait publiquement « une énorme satisfaction car pour la première fois nous pensons que les conditions pour un éventuel procès équitable commencent à se réunir ».

Suffisant pour obtenir la venue de son client à « ce procès politique plutôt que juridique » ? Rien n’est moins sûr. Les chances de voir le vice-président équato-guinéen, visé par un mandat d’arrêt et dont le procès pourrait se solder par une condamnation allant jusqu’à dix ans de prison et une amende de plusieurs dizaines de millions d’euros, fouler à nouveau le sol français sont infinitésimales. Il fut pourtant un temps où celui qui se prépare à succéder à son père, au pouvoir depuis 1979, faisait le bonheur des boutiques chics de l’avenue Montaigne, des antiquaires les plus renommés de la place parisienne, des marchands d’art, des joailliers et des vendeurs de voitures de luxe. Un train de vie de nabab rendu possible par des « détournements de fonds publics », selon les juges d’instruction français. Leur enquête est un catalogue de dépenses somptuaires réalisées entre 2005 et 2011.

Alors que son salaire de ministre de l’agriculture et des forêts était de 80 000 dollars par an, Teodorin Obiang Nguema a dépensé en France sur cette période plus de 5,7 millions d’euros pour l’achat d’une quinzaine de voitures, plus de 18 millions d’euros lors de la revente de la collection d’art de Pierre Bergé et d’Yves Saint-Laurent, plus de 10 millions d’euros pour des bijoux, 250 000 euros pour un lot de bouteilles de Romanée-Conti, 100 000 euros pour un écran géant Panasonic. La liste est loin d’être exhaustive mais la pièce maîtresse de ce patrimoine est un hôtel particulier de plus de 4 000 mètres carrés avenue Foch acheté en 2005 pour 25 millions d’euros avant d’être richement rénové. « Teodorin voulait y établir un centre de négoce du bois », tente de convaincre un officiel équato-guinéen. Soit, mais alors pourquoi y avoir construit un hammam, une discothèque, une salle de cinéma ou bien encore une chambre à coucher de 100 mètres carrés et des penderies remplies de vêtements de marque ?

L’un des ex-majordomes du fils Obiang a résumé la vie de son ancien employeur, partagée entre Paris, Malibu et le Brésil, en trois mots : « alcool, pute, coke ». Lorsqu’il quittait la Guinée équatoriale, a-t-il précisé devant les enquêteurs, « il arrivait, en général, avec deux valises pleines d’espèces. Il les dépensait d’abord à Paris, puis aux Etats-Unis. L’argent dépensé, il retournait en Guinée équatoriale environ trois fois par an pour venir récupérer deux autres valises. »

Selon les enquêteurs français, près de 110 millions d’euros du Trésor public équato-guinéen ont rempli les comptes de M. Obiang Nguema sur la période 2005-2011 et une large partie des achats réalisés ont été effectués par le biais de sociétés dont il était actionnaire, comme la Somagui Forestal. « Il y a des choses qui peuvent être illégales en France et légales ailleurs. Pourquoi M. Obiang ne pourrait-il pas être actionnaire d’une société ? », prétexte son avocat Sergio Tomo.

Paris-Malabo, des relations tendues

A mesure que le procès approchait, les relations diplomatiques entre Paris et Malabo n’ont cessé de s’envenimer. « C’est une cabale pour détruire la figure du vice-président et empêcher la transmission du pouvoir du père à son fils. Les instances de l’Etat français sont prisonnières d’un schéma tracé par des ONG qui sont liées à des intérêts puissants », fulmine un diplomate de Guinée équatoriale en pointant le lien entre Daniel Lebègue, le président de Transparency International et la société Technip, spécialisée dans l’ingénierie pétrolière. « Quand les contrats de Technip en Guinée équatoriale ont été rompus, Transparency International est montée au créneau », dénonce-t-il en rappelant que M. Lebègue était membre du conseil d’administration de Technip lors du dépôt de la plainte contre M. Obiang Nguema.

Autre motif de colère pour le diplomate, les émoluments qui auraient été versés à un avocat, connu pour sa proximité avec François Hollande, après que celui-ci aurait promis de trouver une solution à l’amiable. « Il nous a facturé 145 000 euros en 2015 un mémorandum en nous assurant l’avoir déposé à l’Elysée et depuis rien », tempête cette source, qui dénonce une politique inéquitable de Paris. « Et les princes saoudiens ? Les Qataris ? Pourquoi ne sont-ils jamais poursuivis ? », feint-il de s’interroger.

Reste que la Guinée équatoriale n’est pas la seule à être visée par les enquêtes dites des « biens mal acquis ». Des procédures ont également été engagées en France contre Denis Sassou Nguesso, le président du Congo, les héritiers du Gabonais Omar Bongo, l’ex-président centrafricain François Bozizé ou Rifaat Al-Assad, l’oncle du président syrien. Quant à Teodorin Obiang Nguema, ses ennuis judiciaires dépassent le cadre de l’Hexagone. Après avoir négocié un arrangement à plusieurs dizaines de millions de dollars aux Etats-Unis en 2014, le fils du président de Guinée équatoriale est depuis novembre sous le coup d’une procédure pénale en Suisse pour blanchiment d’argent. Onze de ses bolides ont été saisis à cette occasion.