Des élèves du lycée Marjory Stoneman Douglas, lors de la commémoration de la tuerie du 14 février 2018, à Parkland (Floride), le 14 février 2019. / Al Diaz / AP

Le 14 février 2018, dix-sept personnes étaient assassinées dans l’enceinte du lycée Marjory Stoneman Douglas, à Parkland, en Floride. Cette tuerie de masse a déclenché une vaste mobilisation, emmenée par une partie de la jeunesse américaine, pour réclamer un contrôle plus strict des armes à feu.

Un an plus tard, alors que le Miami Herald a mis en ligne un mémorial en l’honneur des quelque 1 200 adolescents victimes de fusillades dans le pays au cours de l’année écoulée, la législation n’a que très peu évolué et la menace de nouvelles tueries plane toujours. C’est dans un tout autre domaine que la tuerie de Parkland a créé un changement : la vidéosurveillance. Si le contrôle des armes à feu ne s’est pas durci, la transformation des écoles en forteresses s’accélère et concerne désormais le lycée de Parkland.

Traumatisme

La commission scolaire du comté de Broward, où se trouve le lycée martyr, a ainsi annoncé en janvier la mise en place prochaine d’un système de caméras utilisant l’intelligence artificielle pour surveiller de manière très étroite les étudiants des écoles et lycées qu’elle administre. Le dispositif créé par la société Avigilon, qui appartient à Motorola Solutions, reconnaît l’apparence physique des personnes.

La visibilité du visage n’est pas nécessaire pour les identifier, l’intelligence artificielle du système se fonde sur les mouvements, les vêtements ou encore la démarche. Ce dispositif permet ainsi à un agent de sécurité de retracer en vidéo les mouvements de chaque élève dans l’établissement. Ce type de vidéosurveillance, qui sera installé dans les écoles jugées particulièrement sensibles, permet également d’alerter automatiquement des personnels de sécurité en cas d’événements sortant de l’ordinaire.

Des pierres en mémoire des victimes de la tuerie du 14 février 2018, à Parkland (Floride), le 14 février 2019. / Al Diaz / AP

Les performances techniques vantées par Avigilon posent toutefois de nombreuses questions et suscitent les craintes des enseignants, des élèves et de leurs parents, toujours confrontés au traumatisme causé par la tuerie de l’an passé. Citée par le Washington Post, une professeure du lycée de Parkland, Kimberly Krawczyk, met ainsi en doute la pertinence de ce dispositif dans un établissement déjà placé sous surveillance : « Il y a des caméras à chaque mètre ici, mais on ne peut pas attendre d’une machine qu’elle fasse tout ce qu’un humain peut faire. »

Menaces sur la vie privée

De fait, l’efficacité d’un tel système est sujette à caution. Comment un ordinateur peut-il reconnaître un mouvement inhabituel dans un établissement scolaire comptant plusieurs milliers d’élèves et où les rassemblements rapides et les mouvements de groupe sont fréquents ? Comment distinguer le geste d’une personne sortant son téléphone de sa poche un peu trop brusquement de celui d’un tueur brandissant une arme ?

Les fausses alertes pourraient se multiplier, risquant de rendre les vraies moins saillantes. Par ailleurs, des interventions des forces de police pourraient être déclenchées par erreur, ce qui ferait courir des risques importants aux élèves dans un pays où les policiers n’hésitent pas à faire feu.

Des élèves lors d’une manifestation silencieuse pour le contrôle des armes à feu au Capitole de Santa Fe, Nouveau-Mexique, Etats-Unis, le 13 février 2019. / Morgan Lee / AP

La protection de la vie privée des élèves et des personnels éducatifs est également au cœur des inquiétudes. La reconnaissance de l’apparence physique est censée être utilisée pour repérer les individus dangereux mais, comme tout dispositif de sécurité, elle pourrait être étendue à d’autres usages et devenir non plus un outil de protection, mais un instrument de contrôle.

Les personnes concernées n’ont par ailleurs pas toutes les informations concernant la nature des données collectées, et les algorithmes qui permettent au système de fonctionner sont jalousement gardés par Avigilon. Le coût de sa mise en place dans le comté de Broward serait de 600 000 dollars, selon le Washington Post.

L’émergence d’un marché

D’après les comptes dressés par le journal, vingt-cinq attaques armées ont eu lieu dans des écoles en 2018, bilan le plus élevé au cours des deux dernières décennies. Face à la menace constante de telles tueries, et pour conserver la confiance des parents d’élèves, les responsables éducatifs tendent à recourir à des services qui paraissent innovants, sans que leur efficacité soit nécessairement prouvée.

Les tueries de masse dans les écoles ont ainsi créé un marché considérable pour les professionnels de la sécurité. Le secteur éducatif, qui est devenu le tout premier acheteur de technologies de surveillance aux Etats-Unis, génère pour leurs producteurs un chiffre d’affaires total de 2,7 milliards de dollars (2,4 milliards d’euros), selon une étude de l’agence IHS Markit.

D’autres entrepreneurs ont saisi l’opportunité que représente le phénomène des tueries scolaires pour commercialiser des tableaux blancs pare-balles, des portes blindées intelligentes (elles alertent la police si elles sont touchées par des tirs d’armes à feu) ou encore des services de protection payants, assurés par des vétérans des forces spéciales. Or, si rien ne peut prouver clairement que ces dispositifs rempliront leurs rôles le jour venu, les armes à feu qui sont en vente libre aux Etats-Unis tuent avec constance. D’après une étude de la Small Arms Survey, on en compte près de 400 millions en circulation dans le pays, plus que d’habitants.