Ecran d’accueil de la plate-forme Steam. / Capture d'écran

Et dire que cet article est publié le jour de la journée internationale des droits des femmes. Valve, le géant américain de la distribution de jeux vidéo, a annoncé dans la nuit du mercredi 6 au jeudi 7 mars qu’il ne mettrait finalement pas à disposition un jeu vidéo de viol sur sa plate-forme Steam.

Rape Day, qui devait sortir en avril prochain, se voulait ouvertement provocateur. « Harcelez verbalement, tuez et violez des femmes pour progresser dans l’histoire. C’est un monde dangereux et sans règles. Les zombies aiment manger la chair des humains et les violer avec brutalité mais vous êtes le violeur le plus dangereux de la ville » : tel était le descriptif du jeu visible sur Steam avant d’en être retiré.

L’apparition de ce projet a suscité de nombreuses réactions outrées sur les réseaux sociaux, tandis que plusieurs pétitions pour l’empêcher ont été lancées, l’une d’entre elles rassemblant près de 8 000 signatures sur Change.org. La députée britannique Hannah Bardell a qualifié pour sa part ce jeu de « tordu ». « Le contenu de ce jeu est totalement pervers », a-t-elle dit jeudi dans un communiqué. « Il est temps que le gouvernement britannique regarde de près la façon dont les entreprises technologiques et les plates-formes de jeux – Steam en particulier – parviennent à [diffuser] sans problème ce genre de stupidité », a-t-elle poursuivi.

Condamnation ambiguë de Valve

Après avoir tardé à prendre position, l’éditeur américain de la plate-forme aux 65 millions de joueurs mensuels a fini par se désolidariser mollement du projet. « Nous respectons le désir des développeurs [de jeux] de s’exprimer, et la mission de Steam est de [les] aider à trouver un public mais ce développeur a choisi un sujet et une façon de l’illustrer qui rendent cette tâche très difficile pour nous », s’est justifié de manière équilibriste Valve, qui revendique une modération de sa boutique « qui doit se faire a posteriori ».

Page de « Rape Day », depuis supprimée. / Capture d'écran

Ce n’est pas la première fois que l’entreprise américaine est confrontée à pareille polémique. L’an dernier, elle avait déjà dû retirer Active Shooter, un titre qui mettait en scène une fusillade dans une école. D’autres titres choquants sont quant à eux toujours disponibles, comme Hatred, simulateur de massacre de civils qui avait défrayé la chronique en 2015, ou Gynophobia, jeu de tir dans lequel le héros misogyne doit tuer des femmes monstrueuses.

Valve est connue pour son organisation interne atypique, presque entièrement horizontale, basée sur la prise d’initiative personnelle et le consensus. Une philosophie d’entreprise qui a permis à Steam de se développer de manière exponentielle depuis le début de la décennie, mais qui contribue également à une modération laxiste, voire inexistante. Dans un billet datant de 2018, la compagnie reconnaissait être elle-même déchirée en interne sur la question de la place des jeux polémiques, et préférait ne pas prendre la responsabilité de la validation des jeux, « sauf si nous décidons qu’ils sont illégaux ou relèvent de la pure provocation ».

Contre-culture misogyne et prime aux jeux chocs

Derrière cette multiplication de projets chocs, souvent artisanaux, une triple problématique. D’un côté, la persistance d’une culture de « l’anti-politiquement correct », qui s’est exacerbée aux alentours de 2014-2015 avec le resserrage de vis de la modération sur les forums 4chan et Reddit, et l’apparition de forums libertariens misogynes, extrémistes et antisociaux comme 8chan ou Voat. Sur la page d’annonce de Rape Day, son développeur Desk Plant évoquait d’ailleurs une comédie noire destinée aux « 4 % de la population qui sont des sociopathes ».

De l’autre, la politique ultralibérale de Valve, qui a progressivement ouvert les vannes de la publication sur sa plate-forme, notamment avec le lancement en 2012 de Steam Greenlight (devenu Steam Direct), un système de soumission déléguant le rôle de validation aux internautes. Le développeur de Rape Day est ainsi parfaitement inconnu, n’importe qui pouvant aujourd’hui soumettre sa production sur Steam.

Enfin, dans un contexte d’explosion de l’offre, de saturation du marché et de chute totale de visibilité pour les nouveaux projets – le nombre annuel de sorties sur Steam est passé de 565 en 2013 à 9 050 en 2018 –, le recours à des stratégies de provocation offre un levier de médiatisation. Avec le risque, rare mais pas nul, de voir son projet déréférencé.