La double casquette du président de la Fédération française des échecs en question
La double casquette du président de la Fédération française des échecs en question
Plusieurs mairies ont négocié avec le président de la fédération la mise en place d’ateliers scolaires. Mais c’est sa société familiale qui bénéficie des contrats. Une plainte a été déposée par un licencié.
La société familiale de Bachar Kouatly a bénéficié de contrats d’environ 100 000 euros à Agen, 120 000 euros à Chartres (hors taxe) et 150 000 euros à Villejuif. / KARIM JAAFAR / AFP
Bachar Kouatly a l’habitude d’avoir plusieurs coups d’avance. Logique, pour un joueur d’échecs. A plus forte raison si l’on dispose, comme lui, du titre de grand maître international. Depuis décembre 2016, l’homme a une autre attribution : il préside la Fédération française des échecs (FFE). Les municipalités d’Agen, Chartres et Villejuif le savent bien. Durant le second semestre 2018, elles ont signé avec lui un contrat pour la mise en place d’ateliers d’initiation au jeu d’échecs, prévus pour l’année scolaire en cours.
Mais, d’après les informations du Monde, aucun de ces marchés publics n’a rapporté d’argent à la fédération. Ils ont tous profité à la société familiale de Bachar Kouatly, spécialisée dans l’édition d’un magazine (Europe Echecs) ainsi que dans l’animation d’ateliers pédagogiques : environ 100 000 euros venant d’Agen, 120 000 euros de Chartres (hors taxe) et 150 000 euros de Villejuif.
Jusqu’en juillet 2018, cette société anonyme à responsabilité limitée s’appelait Promotion jeux de l’esprit (PJE) et affichait un chiffre d’affaires de 1,1 million d’euros. Elle avait Bachar Kouatly pour gérant.
Depuis, elle a changé de nom, de forme juridique et de dirigeant, selon une annonce légale parue il y a seulement un mois. C’est le fils de l’intéressé, Sami Kouatly, qui préside ce qui est devenu une société par actions simplifiée. L’entreprise a maintenant pour nom Ideal, acronyme d’Institut développement échecs animation loisir. D’après les derniers comptes annuels que Le Monde a consultés, Bachar Kouatly en possède vingt-neuf parts. Son fils, la trentième.
Le maire d’Agen interpellé par un élu d’opposition
Alors qu’en juin 2018 le conseil municipal d’Agen avait approuvé « un partenariat entre la ville, l’éducation nationale et la Fédération française des échecs », un élu d’opposition a fait part, le 18 mars, de ses doutes au maire de la ville, Jean Dionis du Séjour (MoDem). Ce dernier a répliqué qu’il considérait ces ateliers d’initiation comme un « grand succès pédagogique ». L’édile, à tort, a également qualifié PJE d’« opérateur » marchand de la FFE.
Ces contrats ont fait réagir certains licenciés. Le 5 mars, l’un d’eux a déposé une plainte contre le dirigeant auprès du procureur de la République pour ce qu’il estime être une prise illégale d’intérêts. Sa lettre déplore une confusion entre les différentes fonctions de M. Kouatly, confusion qui a rapporté des sommes non négligeables à sa société.
Elle souligne aussi un point commun entre deux des villes concernées : Agen a accueilli le championnat de France d’échecs en 2016 (avant l’élection fédérale) et 2017, l’événement majeur de l’année pour la FFE ; Chartres s’apprête à l’imiter en août, après avoir organisé l’édition « jeunes » en 2018.
Quant à Villejuif, la ville a été l’hôte du championnat universitaire en février et le président de la FFE y a bien prononcé une allocution, mais c’était sous la coordination de la Fédération française du sport universitaire.
Le dirigeant plaide « la négligence »
Contacté par Le Monde, Bachar Kouatly dit ignorer l’existence de la plainte déposée contre lui. « Vous me l’apprenez. » Le dirigeant « conteste absolument » toutes suspicions de prise illégale d’intérêts. « Je ne suis pas là pour m’enrichir », se défend-il. Le n°1 de la FFE plaide surtout « la négligence » et concède qu’il aurait dû abandonner plus tôt la gérance de sa société.
Alors que la situation avait déjà soulevé des interrogations, le grand maître international dit avoir envoyé dès « mars 2017 » une lettre au ministère des sports pour signifier sa volonté de renoncer à sa fonction de gérant. Le ministère n’a pas répondu à nos sollicitations pour confirmer ou infirmer le propos.
Le sexagénaire insiste sur l’existence, bien avant l’élection à la FFE, de ses ateliers pédagogiques dans deux autres villes de banlieue parisienne : au Blanc-Mesnil et à Orsay. Il assure, par ailleurs, connaître les maires d’Agen et de Chartres depuis une date antérieure à sa prise de fonction fédérale. A l’inverse de celui de Villejuif, qu’il reconnaît avoir rencontré « après ».
« Je ne suis pas en train de me soustraire à ma responsabilité », affirme Bachar Kouatly. Tout en déclarant : « Franchement, je n’ai pas suivi du tout les dossiers [des trois contrats les plus récents], leur libellé. Ce sont d’autres personnes qui s’en sont occupées. » Le dirigeant refuse de préciser qui en particulier.
« De juin à octobre 2018, j’étais en campagne pour une autre fonction. J’ai été en Italie, au Maroc, en Russie, en Lettonie, en Espagne, en Géorgie, aux Emirats... » Car, depuis octobre 2018, le président de la FFE a encore un autre titre (« non rémunéré », déclare-t-il) : il est aussi président délégué, soit n°2, de la Fédération internationale des échecs (FIDE).