Le président russe Vladimir Poutine (à droite) et son homologue hongrois, Viktor Orban, lors d’une rencontre à Moscou, le 15 juillet 2018. / Yuri Kadobnov / AP

C’est la banque de tous les fantasmes. Elle doit obtenir son adresse fiscale dans le courant du mois d’avril. Créé pendant la guerre froide, l’établissement est aujourd’hui dirigé par le fils de deux espions soviétiques célèbres. Le démarrage en juin prochain de ses opérations au pays de Viktor Orban, souvent considéré comme un cheval de Troie de Moscou au cœur de l’Union européenne, suscite des inquiétudes. Pourquoi le gouvernement hongrois a-t-il déroulé le tapis rouge à l’International Investment Bank (IIB), dont le siège était auparavant domicilié en Russie ?

Pour l’instant, les services occidentaux du renseignement n’ont pas trouvé de réponse. Zoltan Kovacs, le porte-parole de l’exécutif hongrois, évoque des motivations strictement économiques : en signant un accord de coopération, le 5 février dernier, la Hongrie ne chercherait qu’à « consolider son rôle de centre financier » et à réparer une injustice. Les cinq banques internationales de développement dans l’Union européenne sont toutes basées à l’Ouest. Aucune ne siège en Europe centrale et orientale.

D’ailleurs, l’IIB, créée en 1970 pour renforcer les échanges économiques entre les pays communistes, n’aurait rien d’effrayant. « Elle comprend aujourd’hui neuf Etats membre, dont cinq font partie de l’OTAN : la Bulgarie, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Hongrie. Ces pays possèdent plus de 50 % du capital de l’établissement, contre 47 % de parts russes. »

Ces bonnes paroles n’auront pas suffi à convaincre. Car les employés d’IIB jouiront d’une immunité diplomatique qui leur permettra, à eux comme à leurs invités, de voyager librement dans l’espace Schengen. Or Cuba, la Mongolie et le Vietnam ont aussi placé des billes dans la structure. Et dans ces trois Etats, une oligarchie règne en maître sur l’économie nationale. Par ailleurs, Washington, Londres et Paris s’agacent de la politique de plus en plus prorusse menée par le premier ministre hongrois, un souverainiste à la rhétorique anti-Bruxelles désormais bien connue, alors que le Kremlin est accusé d’ingérence dans l’élection présidentielle américaine, d’empoisonnement en Grande-Bretagne et de nombreuses attaques informatiques.

Un nain dans son secteur

Selon Gabor Horvath, le rédacteur en chef du quotidien Nepszava, qui a fait ses études dans la capitale russe :

« Cette banque offre évidemment une couverture excellente aux services secrets russes, observe Toutefois, il s’agit uniquement d’un soupçon, renforcé par le profil du président du conseil d’administration de l’IIB, imposé par Moscou parce que la Russie est la principale contributrice. J’ai fait la même école que lui : Nikolai Kosov vient d’une lignée d’espions célèbres. Son grand-père était responsable des unités militaires au ministère de l’intérieur. Sa mère a fait partie de l’équipe chargée de s’emparer des secrets nucléaires à New-York, afin de doter l’Union soviétique de la bombe atomique. Son père a été le représentant officiel du KGB à Budapest dans les années 1970. »

Jointe par Le Monde, l’IIB affirme mener les activités bancaires les plus classiques. Et les plus modestes : son portefeuille de prêts s’élève à 753 millions d’euros, ce qui fait d’elle un nain dans son secteur. Sa nouvelle localisation va lui permettre d’obtenir des informations sur les crédits de développement, les orientations économiques des pays membres de l’UE et les secteurs pour lesquels ils sont à la recherche de capitaux étrangers, notamment concernant les infrastructures.

« Viktor Orban espère donc sans doute obtenir quelque chose de la part du Kremlin en échange, estime Peter Felcsuti, l’ancien président de l’association des banques de Hongrie. Mais je ne vois pas ce que les Russes peuvent lui offrir, à part une sécurisation des livraisons de gaz, dont la Hongrie est dépendante. C’est tout le problème avec ce gouvernement : il fait des cadeaux disproportionnés aux Russes. Il va trop loin dans la coopération. Nous risquons de perdre encore plus la confiance des Etats-Unis et de l’Europe occidentale. Le prix à payer me paraît trop élevé. »

Contrat de 12 milliards d’euros

En visite à Budapest, le 11 février, le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo avait sermonné M.Orban, qui a choisi d’exfiltrer vers la Russie deux trafiquants d’armes faisant l’objet d’une demande d’extradition de la part des Etats-Unis. En septembre 2018, la presse hongroise avait aussi révélé que le fils de Serguei Narychkine, patron du renseignement extérieur russe, ainsi que sa femme et ses deux enfants, avaient obtenu un « visa Schengen en or » grâce à Budapest. Enfin, la Hongrie a signé un contrat de 12 milliards d’euros avec Moscou pour augmenter la capacité de l’une de ses centrales nucléaires.

« Il est incompréhensible que la Hongrie ait justement commencé à approfondir ses relations politiques et économiques avec Vladimir Poutine, alors même que ce dernier occupait une partie de l’Ukraine, à partir de 2014, en violation de toutes les normes internationales, relève l’historien Zoltan Biro, spécialiste de la Russie. Cela jette un doute sur la souveraineté du gouvernement hongrois. »

Selon Gabor Horvath, la Slovaquie voisine avait refusé à l’IIB les avantages extraterritoriaux, les exemptions d’impôts, l’immunité diplomatique pour les voitures comme pour les bâtiments qu’elle exigeait en vue de s’installer à Bratislava. A la différence de la Hongrie.