Financement de la dépendance : le Sénat prône l’assurance privée obligatoire plutôt que l’impôt
Financement de la dépendance : le Sénat prône l’assurance privée obligatoire plutôt que l’impôt
Par Béatrice Jérôme
Un rapport sénatorial propose de rendre obligatoire une cotisation assurantielle, si possible dès l’entrée dans la vie active.
« Un pari dangereusement optimiste » : un rapport du Sénat tire à boulets rouges contre le scénario préconisé par Dominique Libault sur la concertation « Grand âge et autonomie » pour financer le coût de la perte d’autonomie des personnes âgées dans les dix prochaines années. « La trajectoire financière tracée par le rapport Libault ne nous paraît pas assez réaliste », affirment Bernard Bonne, sénateur Les Républicains de la Loire, et Michelle Meunier, sénatrice socialiste de Loire-Atlantique, dans un document sur le financement de la dépendance, rendu public jeudi 4 avril.
Prenant le contre-pied de Dominique Libault, qui a remis ses travaux, le 28 mars, à la ministre de la santé Agnès Buzyn, le rapport Bonne-Meunier milite pour la création d’une assurance « obligatoire » pour permettre à chacun de financer les soins à domicile ou son séjour en maison de retraite. M. Libault préconise, lui, de recourir à la solidarité nationale par le biais de l’impôt.
Pour financer la perte d’autonomie, il faudrait dégager 9,2 milliards d’euros supplémentaires par an d’ici 2030 selon M. Libault. Pour y parvenir, il défend l’idée de recourir à l’actuelle contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) qui concourt à combler le déficit de la Sécurité sociale. La dette sociale devrait être apurée en 2024. M. Libault propose qu’à cette date, la CRDS soit « fléchée » pour financer la dépendance. Prélevée sur les cotisations patronales et salariales, la CRDS rapporte près de 9 milliards d’euros.
« Une fausse bonne idée »
C’est une « fausse bonne idée, estime M. Bonne. Rien ne dit que la dette sociale sera remboursée en 2024. C’est tout à fait hypothétique. Proposer de recourir à la CRDS, c’est, en outre, repousser à quatre ou cinq ans la solution. Il faut avancer vite car on ne peut plus attendre… », poursuit l’ancien président du département de la Loire.
Plutôt que de parier sur la CRDS, le rapport sénatorial propose de rendre obligatoire une cotisation assurantielle, si possible dès l’entrée dans la vie active, dont le montant serait proportionnel au revenu du bénéficiaire. « Les estimations les plus récentes de la Fédération française des assurances nous ont appris qu’une cotisation moyenne mensuelle de 12 euros dès l’entrée dans la vie active permettrait le versement d’une rente viagère mensuelle d’environ 500 euros », écrivent les corapporteurs.
Cette solution qui s’apparente au système allemand est fortement promue par la Mutualité française. Il s’agirait d’un système assurantiel par répartition. Ce qui permettrait de financer immédiatement les besoins des personnes dépendantes à ce jour grâce aux cotisations des actifs. Les deux auteurs du rapport sénatorial divergent sur un point : pour M. Bonne « la gestion du risque dépendance devrait plutôt relever du secteur privé ». Pour Mme Meunier, cette assurance obligatoire devrait être gérée par la Sécurité sociale.
« Un surloyer solidaire »
Aujourd’hui, le marché de l’assurance contre la perte d’autonomie est « très faiblement développé », notent-ils. Un peu plus de 7 millions de personnes ont souscrit de tels contrats qui ont généré, en 2015, 225 millions d’euros de prestations. Seul le caractère obligatoire d’une assurance permettrait sa généralisation, selon les deux corapporteurs. Ce financement privé ne se substituerait toutefois pas entièrement à la solidarité nationale. L’allocation personnalisée d’autonomie (APA) versée par les départements continuerait à couvrir une partie des frais en établissement et à domicile. Ce scénario assurantiel est fermement écarté par Dominique Libault. Son rapport appelle même à « ne pas mettre en place une assurance privée obligatoire ». « Rien ne démontre que l’acceptabilité sociale d’une cotisation privée obligatoire soit supérieure à celle d’un prélèvement public obligatoire », écrit-il.
Les préconisations de Bernard Bonne et Michelle Meunier diffèrent de celles de Dominique Libault sur un autre volet : la facturation de l’hébergement en maison de retraite en fonction des revenus. Actuellement le tarif est identique dans la grande majorité des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), quelles que soient les ressources de leurs résidents. Les plus modestes peuvent bénéficier d’une aide sociale à l’hébergement (ASH). Le rapport Bonne-Meunier propose d’instituer « un surloyer solidaire » pour les personnes dont les revenus sont suffisants pour assumer le coût du séjour. Selon le modèle en vigueur pour les tarifs dans les crèches, soulignent-ils.
Ce scénario a été initié dans plusieurs Ehpad gérés par le groupe SOS de Jean-Marc Borello. Il est promu – avec quelques variantes – par la Mutualité française. A l’inverse, le rapport Libault n’y souscrit pas. Il propose de diminuer le coût pour chaque personne en maison de retraite de 300 euros par le biais des crédits de la Sécurité sociale jusqu’en 2024 puis avec la CRDS au-delà. Un scénario peu réaliste aux yeux de M. Bonne et de Mme Meunier. Selon eux, les réserves de la Sécurité sociale auront « fondu comme neige au soleil » dans les prochaines années.