« Je vois rouge » : une enquête familiale en forme de procès soviétique
« Je vois rouge » : une enquête familiale en forme de procès soviétique
Par Jacques Mandelbaum
La jeune réalisatrice Bojina Panayotova, née en Bulgarie mais qui a grandi en France, tente d’éclairer le passé de ses parents sous le communisme.
Bojina Panayotova est une femme d’origine bulgare, installée en France depuis l’âge de 8 ans, après que ses parents ont émigré à la faveur de la chute du mur de Berlin. Un jour, bien plus tard, s’avisant que lesdits parents, aujourd’hui séparés, venaient d’un des pires systèmes politiques inventés à des fins d’empoisonnement de l’humanité et que, parallèlement, s’ouvraient en Bulgarie les archives de la redoutable police secrète communiste, l’envie d’un voyage au pays des ancêtres la saisit, histoire de rapprocher un peu ces deux événements.
C’est du moins ainsi, avec cette naïveté que l’on soupçonne de ne pas vraiment recouvrir la complexité des choses, que Bojina Panayotova présente son film depuis l’intérieur même de celui-ci, puisqu’elle en est l’une des interprètes principales. Je vois rouge se programme donc comme une sorte de journal intime bâti autour d’un secret familial, genre dûment répertorié, à ceci près qu’il se transforme assez rapidement en procès soviétique intenté contre ses parents par la jeune diariste.
Car Bojina est une jeune fille en colère, et qui fait feu de tout bois. Formellement, cela donne un maelström d’images puisées aux sources les plus diverses (films et photos familiales, documents d’archives, conversations Skype, écrans d’ordinateur…), soufflant sur le film à 100 à l’heure, souvent en split screen (écran divisé en multiples fenêtres).
Un sentiment de gêne
Quant aux péripéties, c’est possiblement pire. Exigeant d’abord que ses parents aillent demander aux archives l’existence d’un dossier les concernant, la réalisatrice, caméra à la main, les pousse rapidement dans leurs retranchements, les filmant sans leur consentement ou recourant à des caméras cachées. Le père, las d’expliquer à sa fille qu’il a droit, comme tout le monde, à son jardin secret, finit par l’insulter. La mère, en revanche, se prête à sa demande et revient des archives avec, sous le coude, un dossier qui la désigne non pas comme suspecte, mais comme informatrice du régime.
C’est logiquement à ce moment que Bojina se brouille aussi avec cette dernière qui estime qu’il lui sera malaisé de convaincre le public que la technique des agents de la police secrète consistait, pour faire en quelque sorte du chiffre, à enregistrer quelqu’un comme « informateur » dès lors que cette personne parlait avec eux. Ce qui était le cas de Mme Panayotova mère qui, étudiante, avait un bon ami dans ce cas.
L’un dans l’autre, on va au bout de ce film avec un sentiment de gêne croissant, qui tient autant à la manière vindicative dont il traite ses personnages qu’à l’autocritique auquel il se livre dans le même temps en nous montrant l’espèce de folie inquisitrice qui s’empare, ce faisant, de la réalisatrice. En jouant ainsi simultanément sur les deux tableaux, le film se désarme en quelque sorte lui-même, affaiblissant d’un côté la sincérité douloureuse de sa démarche, renchérissant de l’autre sa volonté de maîtrise artistique sur le dos des enjeux intimes dont il procède. Il n’en demeure pas moins passionnant et annonce un goût de fiction appelé à s’épanouir.
Je vois rouge - Bande-annonce VOSTFR
Durée : 01:54
Film français de Bojina Panayotova (1 h 24). Sur le Web : jhrfilms.com