Comprendre les soupçons d’empoisonnement qui pèsent sur un anesthésiste de Besançon
Comprendre les soupçons d’empoisonnement qui pèsent sur un anesthésiste de Besançon
Le médecin de 47 ans, déjà poursuivi depuis 2017 pour sept cas d’empoisonnements suspects, pourrait avoir à répondre de son comportement dans une cinquantaine de cas différents.
Frédéric Péchier, le 29 mars 2017 à Besançon. / SÉBASTIEN BOZON / AFP
Après quarante-huit heures de garde à vue, l’anesthésiste Frédéric Péchier a été déféré jeudi 16 mai au tribunal de Besançon (Doubs), où il pourrait être de nouveau mis en examen dans la journée. Le médecin de 47 ans, déjà poursuivi depuis 2017 pour sept cas d’empoisonnement suspects – dont deux mortels –, pourrait avoir à répondre de son comportement dans une cinquantaine de cas différents. Un dossier hors norme, particulièrement rare dans le monde médical.
Une première mise en examen en 2017
C’est en 2017 qu’éclate l’affaire Péchier, du nom de ce médecin anesthésiste exerçant notamment à la clinique Saint-Vincent de Besançon. L’homme est pourtant très réputé dans son service, où il est notamment responsable du planning des dix anesthésistes de cet établissement privé de 250 lits. Chaque année, le médecin, qui s’est spécialisé dans les cas les plus complexes à force de formations, endort quelque 2 000 patients.
Mais au début de 2017, coup sur coup les 11 et 20 janvier, deux patients subissent des accidents cardiaques inexpliqués au cours de leur opération. Alerté par la direction de la clinique, le parquet de Besançon commande en urgence, le 14 février, une enquête à l’agence régionale de santé (ARS). Ce document de 7 pages conclut à « des actes intentionnels » pour les deux accidents. Et note aussi la présence « remarquable », dans deux autres cas d’arrêts cardiaques suspects depuis 2008 à la clinique Saint-Vincent, mais aussi dans trois cas à la Polyclinique de Franche-Comté, où il n’a pourtant exercé qu’entre le 1er janvier et le 22 juin 2009, d’un « anesthésiste-réanimateur particulier : Frédéric Péchier ».
L’enquête établit alors que les arrêts cardiaques ont été provoqués par l’administration de doses potentiellement létales de potassium et d’anesthésiques. Privilégiant la thèse du « pompier pyromane », les enquêteurs soupçonnent le médecin d’avoir sciemment modifié les poches d’injection de confrères afin de provoquer des incidents opératoires, pour exercer ensuite ses talents de réanimateur.
La procédure judiciaire s’accélère alors. Le 4 mars 2017, l’anesthésiste est interpellé, puis mis en examen deux jours plus tard pour ces sept cas suspects. Dans une conférence de presse, la vice-procureure de Besançon annonce que des doses létales de potassium ou d’anesthésiques ont été introduites « sciemment » dans des poches de perfusion de réhydratation, « où normalement elles n’ont pas lieu d’être », montrant qu’« il ne pouvait s’agir que d’actes volontaires de nature à entraîner la mort des patients ».
Les victimes présumées, quatre femmes et trois hommes âgés de 37 à 53 ans, « n’avaient pas de prédispositions ou de fragilités particulières ». Un homme de 53 ans est mort en 2008 pendant une opération des reins, et une femme de 51 ans est morte en 2016 au cours d’une opération pour une fracture.
Une enquête préliminaire parallèle, ouverte en toute discrétion
Mais en parallèle de cette première mise en examen, la justice continue activement son travail. Le parquet ouvre discrètement une enquête préliminaire en 2017, qui dure depuis deux ans. Elle concerne une cinquantaine d’autres accidents médicaux suspects qui pourraient dissimuler des « faits d’empoisonnement potentiels » dans des établissements où a exercé le médecin. C’est dans le cadre de cette enquête que Frédéric Péchier risque jeudi une nouvelle mise en examen.
Parmi ces « événements indésirables graves », il y aurait quinze décès, a affirmé mercredi le quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France. Quatre corps ont d’ailleurs été exhumés en 2018 dans le cadre de cette enquête exceptionnelle.
La famille d’un petit garçon de 4 ans, opéré des amygdales en février 2016, a également fait savoir qu’elle avait porté plainte contre le médecin. Teddy souffre aujourd’hui de séquelles psychologiques que sa famille attribue à un arrêt cardiaque inexpliqué au cours de cette opération. Ses parents avaient déjà déposé plainte contre X au début de 2017. L’expertise médicale ordonnée avait « conclu à un accident inexpliqué avec une suspicion de choc anaphylactique, un choc allergique qui peut être mortel », selon France Bleu.
La défense évoque un « acharnement judiciaire »
Depuis 2017, M. Péchier nie catégoriquement les faits. « Mon client dit passer sa vie à réanimer les gens, pas à les tuer », avait déclaré au début de l’affaire son avocat, Me Randall Schwerdorffer, précisant que « l’accident ou la négligence restent des hypothèses tangibles ». Ce dernier dénonçait aussi une « accusation ahurissante et fragile » et mettait en cause un autre médecin. « Il y a bien un empoisonneur, mais ce n’est pas lui », affirmait-il. Dans un contexte de rivalité entre médecins, il mettait notamment en cause un autre anesthésiste qui « a reconnu avoir posé deux des diagnostics » permettant de réanimer les patients empoisonnés.
Mais, selon le parquet – qui avait demandé en 2017 sans l’obtenir un placement en détention provisoire –, les « indices graves et concordants » permettent de « présupposer l’administration volontaire de substances mortelles » de la part de Frédéric Péchier.
Depuis les premières révélations, le médecin a été laissé libre sous contrôle judiciaire, avec l’interdiction d’exercer sa profession. En mai 2018, la cour d’appel de Besançon avait cependant examiné la requête du docteur d’alléger son contrôle judiciaire, ce qui lui permettrait de pratiquer des consultations d’anesthésie dans des établissements hospitaliers hors du département du Doubs, sans accès aux blocs opératoires et aux produits présentant un danger pour les patients. Les avocats de l’anesthésiste avaient souligné « la situation financière extrêmement compliquée » de leur client, « sans revenus depuis quinze mois, alors qu’in fine il pourrait bénéficier d’un non-lieu ». Un argument pas entendu par la cour d’appel, qui avait rejeté l’appel.